Dix sept heures trente. La porte de la banque se ferme pour la dernière fois de la journée. Elle sort. Béatrice Merkel, vêtue d'un tailleur rouge et noir, chausse ses lunettes de soleil large et rentre dans sa citadine violette. Le passé de cette femme d'à peine cinquante ans n'est pas très passionnant.
Elle était mariée à un patron d'une entreprise de menuiserie, qui l'avait employée en tant que secrétaire de direction à ses côtés. Venant d'une famille modeste originaire d'Allemagne, la grande maison en province sudiste et la sécurité de l'emploi, c'était pour elle du grand luxe. Elle a vécu treize années de bonheur à compter de ces dix-neuf ans, dans une belle demeure avec un mari et l'emploi qu'il lui offrait.
Elle devait ses avantages à son physique. Elle était belle, toujours souriante, ses yeux verts pétillaient à longueur de temps.
Alors que le couple voulait un enfant mais n'y parvenait pas, ils reçurent les résultats d'examens médicaux indiquant que le problème venait de Béatrice. Elle était stérile. Cela mit leur couple en péril. Laurent, son mari, désirait construire une famille, mais sa sublime femme ne pouvait plus le satisfaire. Il mit donc fin à leur union et demanda le divorce. A ce moment là, tout s'écroula autour de Béatrice. Laurent lui demanda de quitter la maison, la licencia et lui avoua qu'il avait une maîtresse.
Béatrice quitta le Sud pour Paris et s'installa à trente-deux ans en ces lieux. Le petit immeuble du treizième arrondissement où elle vivait était paisible, l'ambiance appréciable. Elle y trouva un job de conseillère clientèle en banque. Ses comptes financiers s'étaient remis en place et elle avait remboursé le prêt qu'elle avait demandé pour payer sa caution d'appartement en arrivant à Paris.
Comme à l'époque, Béatrice est une acharnée du travail, elle s'investit dans ce qu'elle fait. Elle n'est jamais absente, ne demande jamais de vacances. En même temps, pourquoi en demanderait-elle ? Ce n'est pas seule ou accompagnée d'Hubert, son chien, qu'elle partirait aux îles Canaries. Malgré ses racines, les années avaient passé aux côtés de Laurent, l'avaient déviée vers des opinions politiques de droite. Ça fait maintenant dix-huit ans qu'elle a le même emploi, le même appartement, la même vie : métro, boulot, dodo. Elle a même mis de côté sa vie sentimentale.
Juste une fois, elle est sortie avec un homme le temps d'une soirée. C'était il y a à peu près trois mois. Alors qu'elle sortait de la banque, un homme lui proposa d'aller boire un verre, attiré par la grâce de Béatrice lorsqu'elle marche. Ayant envie de se changer les idées, elle a accepté. Le verre à boire se transforma en restaurant. Le restaurant en digestif chez l'homme. Puis le digestif en nuit érotique.
Elle n'avait pas vécu ça depuis dix-neuf ans! Cela dit, c'était une histoire sans lendemain. La vie continue, sans l'homme que nous appellerons « coup d'un soir ».
Le train-train professionnel était toujours là, Béatrice prend toujours aussi peu soin d'elle mais son sourire et sa classe la rendent toujours aussi belle.
Malgré cela, Béatrice est très sérieuse sur le plan de sa santé. Alors puisqu'elle n'avait pas fait usage de protection avec le coup d'un soir, elle a subi, il y a une semaine, des examens de sang.
Dix-sept heures quarante. Elle arrive à la maison de protection et de prévention à la transmission du VIH. Toujours autant pleine de sourires, elle vient chercher ses résultats. La femme lui remet l'enveloppe, lui souhaite une bonne soirée, elle aussi souriante, mais achevée par sa journée de travail, tout comme notre Béatrice d'ailleurs. Béatrice sort des lieux, entre dans sa voiture et ouvre la lettre. Elle y lit «Nous avons le regret de vous informer que vous êtes positive au test de séropositivité que vous avez subi ». Elle croit mal voir, panique, relit. Elle découvre avec stupéfaction qu'elle ne rêve pas, ce qu'elle est en train de lire, est bien ce qui est inscrit sur cette feuille qui lui est adressée. Perturbée, elle sort de la voiture, et se précipite vers la femme qui ferme la grille du laboratoire. Elle donne la feuille à la femme et alors qu'elle lui rend avec un air désolé mais sans dire un mot, Béatrice ne récupère pas la feuille et s'enfuit en courant vers sa voiture. Elle démarre à toute vitesse et rentre chez elle se calmer.
Béatrice continue sa vie comme si rien ne s'était passé, subissant les symptômes. Aucun de ses collègues de travail n'est au courant. Elle a perdu le sourire mais vit tant bien que mal. Trois années passent. Un soir, elle rentre chez elle et trouve Hubert, mort. Les symptômes s'aggravent au fur et à mesure du temps.
Elle meurt à cinquante-quatre ans, ne s'étant pas réveillé d'une nuit de sommeil.
Peut-on parler de « belle mort » lorsqu'on a eu une si triste vie ?
Elle était mariée à un patron d'une entreprise de menuiserie, qui l'avait employée en tant que secrétaire de direction à ses côtés. Venant d'une famille modeste originaire d'Allemagne, la grande maison en province sudiste et la sécurité de l'emploi, c'était pour elle du grand luxe. Elle a vécu treize années de bonheur à compter de ces dix-neuf ans, dans une belle demeure avec un mari et l'emploi qu'il lui offrait.
Elle devait ses avantages à son physique. Elle était belle, toujours souriante, ses yeux verts pétillaient à longueur de temps.
Alors que le couple voulait un enfant mais n'y parvenait pas, ils reçurent les résultats d'examens médicaux indiquant que le problème venait de Béatrice. Elle était stérile. Cela mit leur couple en péril. Laurent, son mari, désirait construire une famille, mais sa sublime femme ne pouvait plus le satisfaire. Il mit donc fin à leur union et demanda le divorce. A ce moment là, tout s'écroula autour de Béatrice. Laurent lui demanda de quitter la maison, la licencia et lui avoua qu'il avait une maîtresse.
Béatrice quitta le Sud pour Paris et s'installa à trente-deux ans en ces lieux. Le petit immeuble du treizième arrondissement où elle vivait était paisible, l'ambiance appréciable. Elle y trouva un job de conseillère clientèle en banque. Ses comptes financiers s'étaient remis en place et elle avait remboursé le prêt qu'elle avait demandé pour payer sa caution d'appartement en arrivant à Paris.
Comme à l'époque, Béatrice est une acharnée du travail, elle s'investit dans ce qu'elle fait. Elle n'est jamais absente, ne demande jamais de vacances. En même temps, pourquoi en demanderait-elle ? Ce n'est pas seule ou accompagnée d'Hubert, son chien, qu'elle partirait aux îles Canaries. Malgré ses racines, les années avaient passé aux côtés de Laurent, l'avaient déviée vers des opinions politiques de droite. Ça fait maintenant dix-huit ans qu'elle a le même emploi, le même appartement, la même vie : métro, boulot, dodo. Elle a même mis de côté sa vie sentimentale.
Juste une fois, elle est sortie avec un homme le temps d'une soirée. C'était il y a à peu près trois mois. Alors qu'elle sortait de la banque, un homme lui proposa d'aller boire un verre, attiré par la grâce de Béatrice lorsqu'elle marche. Ayant envie de se changer les idées, elle a accepté. Le verre à boire se transforma en restaurant. Le restaurant en digestif chez l'homme. Puis le digestif en nuit érotique.
Elle n'avait pas vécu ça depuis dix-neuf ans! Cela dit, c'était une histoire sans lendemain. La vie continue, sans l'homme que nous appellerons « coup d'un soir ».
Le train-train professionnel était toujours là, Béatrice prend toujours aussi peu soin d'elle mais son sourire et sa classe la rendent toujours aussi belle.
Malgré cela, Béatrice est très sérieuse sur le plan de sa santé. Alors puisqu'elle n'avait pas fait usage de protection avec le coup d'un soir, elle a subi, il y a une semaine, des examens de sang.
Dix-sept heures quarante. Elle arrive à la maison de protection et de prévention à la transmission du VIH. Toujours autant pleine de sourires, elle vient chercher ses résultats. La femme lui remet l'enveloppe, lui souhaite une bonne soirée, elle aussi souriante, mais achevée par sa journée de travail, tout comme notre Béatrice d'ailleurs. Béatrice sort des lieux, entre dans sa voiture et ouvre la lettre. Elle y lit «Nous avons le regret de vous informer que vous êtes positive au test de séropositivité que vous avez subi ». Elle croit mal voir, panique, relit. Elle découvre avec stupéfaction qu'elle ne rêve pas, ce qu'elle est en train de lire, est bien ce qui est inscrit sur cette feuille qui lui est adressée. Perturbée, elle sort de la voiture, et se précipite vers la femme qui ferme la grille du laboratoire. Elle donne la feuille à la femme et alors qu'elle lui rend avec un air désolé mais sans dire un mot, Béatrice ne récupère pas la feuille et s'enfuit en courant vers sa voiture. Elle démarre à toute vitesse et rentre chez elle se calmer.
Béatrice continue sa vie comme si rien ne s'était passé, subissant les symptômes. Aucun de ses collègues de travail n'est au courant. Elle a perdu le sourire mais vit tant bien que mal. Trois années passent. Un soir, elle rentre chez elle et trouve Hubert, mort. Les symptômes s'aggravent au fur et à mesure du temps.
Elle meurt à cinquante-quatre ans, ne s'étant pas réveillé d'une nuit de sommeil.
Peut-on parler de « belle mort » lorsqu'on a eu une si triste vie ?