Seule

France, Paris, 13e, place d’Italie, une fenêtre parmi tant d’autres, Béatrice Merckel. J’ai quarante-cinq ans, je n’aime pas les gens qui errent dans le hall de la banque dans laquelle je travaille ; je n’aime pas la conseillère clientèle du nom de Josiane qui bosse à côté de moi ; je n’aime pas mes voisins et j’aime encore moins ces jeunes de banlieue qui traînent de temps en temps près de chez moi. En fait, je n’aime pas grand-chose depuis que mon mari m’a quittée. Je me sens seule et quand je rentre du boulot, personne ne m’attend, personne à part mon Snoopi, mon chien, lui aussi était seul, je l’ai trouvé au refuge de la SPA de mon quartier.

Chez moi, ce n’est pas très grand, la vie est dure à Paris et j’ai beau travailler dans une banque, ce n’est pas ça qui paie la facture d’électricité que j’aurais dû payer depuis plus de deux mois. De toute façon, ils viennent de la couper.

Cette nuit, je dors difficilement, j’ai froid, je n’ai plus de chauffage et une idée me trotte dans la tête, elle prend de plus en plus de place, elle va me rendre folle !

Je me réveille en sueur, je vais dans la cuisine et me prépare un thé. Il est six heures, le soleil est en train de se lever, à croire qu’il part au boulot en même temps que des millions de gens dans cette ville. Huit heures. J’arrive devant l’enseigne C.I.C, ma banque, ou du moins celle où je travaille depuis des années, je ne compte plus, j’ai pris la place de pilier. La journée commence, la banque est pratiquement vide et cette idée tenace me rattrape, il faut que je résiste. C’est vrai en plus pour moi ce ne serait pas si compliqué, ce serai même un jeu d’enfant car avant je créais des logiciels et travaillais pour une des plus grosses boites de virement de banque à banque de France. Tant pis, je pianote sur le clavier de mon ordinateur, des pages apparaissent, ah ! Le bon vieux temps. Je commencerai par une centaine, par une petite centaine d’euros. C’est vrai, une petite centaine d’euros repartis et pris sur plusieurs banques et surtout sur plusieurs milliards, personne ne s’en apercevra et puis j’ai de l’expérience, personne n’en saura rien.

Ça fait des mois que je joue a ce jeu, tout va bien. J’ai changé d’appartement, un appartement beaucoup plus grand et cette fois sans risque que l’on me coupe l’électricité. Depuis des mois, je serais presque heureuse, même Snoopi semble heureux pour moi, à moins que ce soit ses nouvelle croquettes, allez savoir !

Huit mois que j’arnaque ma banque et toutes les autres, tout va bien ! Enfin, non ! Cette expression « l’argent ne fait pas le bonheur », je commence à y croire. Je suis toujours seule avec mon chien, personne ne m’attend chez moi. Je suis seule, je suis triste, je suis presque riche.

La fatigue me gagne, non pas à cause de mon travail, non, je suis fatiguée de la vie. J’étais pauvre, j’ai arnaqué ma banque et les autres, je ne suis jamais fait prendre, maintenant je suis riche, toujours seule, en devenant riche et en arnaquant les autres banques, j’ai fait gagner de l’argent à la banque où je travaille, je parle au futur car là je suis mourante. Je meurs seule, même Snoopi n’est plus là, je suis riche, et personne à qui en faire profiter. Je suis seule, je suis triste, je meurs, je suis riche.

Je m’appelais Béatrice Merckel, quarante-six ans, j’habitais toujours la place d’Italie mais dans un appartement plus grand, 13e, Paris, France.