Une bulle de savon s’éclata contre le mur, juste à côté de l’horloge. Les yeux de Béatrice qui la suivait, d’un air rêveur, se posèrent sur l’horloge : huit heures et demie ! Béatrice se leva d’un bon de son bain en poussant un cri de surprise, « Oh merde, je suis encore en retard ! ». Elle était sortie de la baignoire, il y avait de l’eau partout. « Bah ! L’eau ça sèche » songea-t-elle tout haut en se séchant le plus vite possible. Elle s’habilla ensuite avec les vêtements sur le panier à linge débordant qu’elle avait préparé à l’avance.
Elle était encore jolie, avait de sublimes cheveux châtain foncé, ondulés, qui lui descendaient jusqu’en bas du dos.
Elle devait prendre le bus de neuf heures moins le quart, mais elle prit celui de neuf heures, le temps de se préparer. Elle arriva donc à la banque à neuf heures et quart, elle avait un quart d’heure de retard. Béatrice voulut gagner son bureau sans se faire remarquer, mais une collègue s’écria : « Béa ! Dis tu sais quoi ? Le fils de la concierge de l’immeuble de Catherine se serait suicidé !
- Ah bon, dis donc c’est terrible, répond-elle d’un ton inintéressé.
- Oui, t’imagine, si toi tu perdais ton fils !
- Suzanne, je n’ai pas de fils.
- Ah oui ta fille pardon.
- Suzanne ! Quand est-ce que tu te souviendras que je n’ai pas d’enfants ! s’exclama-t-elle.
- Ah oui, mais tu sais, il y a tellement de personnes à qui j’aime tant parler qu’il m’arrive de m’emmêler les pinceaux ! Elle eu un petit rire.
- En même temps, t’es pas difficile… Tu parlerais même à mon clebs, plaisanta-t-elle tout bas.
- Mais pourquoi n’as-tu pas d’enfants ?
- Je hais les mômes ! Bon tu m’excuses, mais je suis déjà suffisamment en retard, il faut que j’aille travailler. Salut !
- Ah mais… »
Béatrice n’écouta pas ce que Susanne avait à ajouter, et continua sa route jusqu’à son bureau. Quand une main se pausa sur son épaule et une voix d’homme se fit entendre : « Mademoiselle Merkel !
- Oui ? répond-elle en se retournant.
- Alors vous êtes en retard…
- Oui… c’est… Elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase que l’homme reprit :
- Ca arrive de plus en plus souvent ces temps-ci. Pourrais-je savoir pourquoi ?
- Monsieur Lepiel, ma vie privée ne vous regarde pas !
- Oui, oui je comprends très bien… Et bien, euh… allez travailler.
- Merci. »
Béatrice lui tourna le dos et s’éloigna. L’homme était resté au même endroit, la regardant s’éloigner, se mordant la lèvre avec l’air ailleurs et triste.
Elle s’assit enfin à son bureau, alluma son ordinateur, et lorsqu’elle voulut se relever pour aller chercher un dossier, elle tomba nez à nez avec une femme.
- Ben dis t’as pas fait semblant d’être en retard se matin ! plaisanta cette dernière en souriant.
- Ah Françoise ! Tu m’as fait peur ! Oui t’as raison, en plus y a Suzanne qui m’a vue arriver, alors… Puis après, c’est le directeur qu’est venu encore essayer de savoir si j’avais trouvé quelqu’un d’autre. »
Françoise se mit à rire et elles continuèrent de discuter tout en travaillant.
A dix-huit heures quinze, Béatrice avait terminé sa journée, elle prit donc le bus de dix-huit heures trente. Elle arrive devant son immeuble à dix-neuf heures, elle prit son courrier, monta au cinquième étage et rentra chez elle.
Son appartement n’était pas très grand, assez sombre. Il semblait avoir été bien décoré, mais le désordre de l’appartement dévalorisait cette décoration. Béatrice n’invitait jamais personne chez elle, elle avait honte de ce désordre, et n’avait ni le temps ni le courage de ranger. Elle sortait souvent, voir du monde ou tout simplement une amie. Ce soir là, elle sortait, elle se rendait au restaurant avec sa meilleure amie, Julie, et son mari, Hervé.
Depuis son divorce, Béatrice fréquentait le moins possible d’hommes. Elle était donc restée célibataire depuis six ans. Pourtant beaucoup avait essayé de la séduire.
Béatrice avait rendez-vous à vingt heures au restaurant d’à côté. Il lui restait une heure environ pour se préparer. Elle commença par ouvrir son courrier : une carte postale, une lettre de sa mère restée en Allemagne, qui est son pays d’origine, deux ou trois publicités, et une lettre d’un expéditeur qu’elle ne reconnaissait pas. Elle ouvrit l’enveloppe et lut :
« Madame, » Mademoiselle ! se dit-elle.
La lettre se terminait par une signature délicate et soignée.
Béatrice replia la lettre lentement en réfléchissant, elle ne pensait plus à ce livre, pour elle, il n’avait pas été réussi, jamais elle n’aurait pensé être invitée à la télévision. Elle se promit d’y réfléchir plus tard, elle survola les autres lettres, gardant celle de sa mère de côté pour la lire plus tard et alla se préparer.
Elle descendit dîner avec son amie et remonta deux heures et demie plus tard.
Le lendemain, alors qu’elle était à son travail, elle répondit à la lettre qu’elle avait lue la veille que ce serait avec joie qu’elle participerait à leur émission.
Le mois passa, le 4 Juillet approchait. Béatrice avait déjà essayé tous les ensembles qu’elle possédait, mais elle n’arrivait pas à se décider. C’est alors qu’elle tomba sur une robe qu’elle n’avait pas mise depuis des années. Son premier reflexe fut de jeter la robe sur son lit derrière elle comme tous les autres vêtements qu’elle avait déjà essayés. Puis quand elle se retourna pour reprendre un haut, son regard se posa sur la robe… La minute d’après elle l’avait enfilée et observait son reflet dans le grand miroir de sa salle de bain. Béatrice était très élégante dans cette robe. Ce n’est pas ce qu’elle voyait, elle voyait la femme qui avait écrit ce livre. Elle se revoyait cinq années plus tôt, et se rendit compte qu’elle avait vraiment changé. C’est de cette manière que la tenue fut enfin trouvée.
Le 4 Juillet était un vendredi, le jour de congé fut accepté sans problème.
Elle se rendit en taxi à l’endroit indiqué dans une seconde lettre, « La tour France 3 » qui se trouve dans le quinzième arrondissement.
Elle fut bien accueillie. On l’invita à s’installer dans une loge, et on lui proposa du café. Un peu plus tard, quelqu’un vint la maquiller, une autre personne l’équiper d’un microphone, et encore une autre personne lui donna les questions qu’on allait lui poser, et lui expliqua à quel moment elle entrerait sur le plateau, quand elle en ressortirait, ce qu’elle devait faire ou ne pas faire…
L’heure arriva. L’émission se passait en direct, le tournage commençait dans deux minutes. Le présentateur était déjà en place sur le plateau, elle ne l’avait pas encore vu, ce qui l’avait étonnée. Elle aurait pensé que ce serait la première personne qu’elle allait rencontrer.
L’émission commence, Eric Durare parle. Puis après quelques minutes, il présenta son invitée :
« Aujourd’hui nous accueillons Béatrice Merkel, l’auteur du roman La fin du rêve éternel !
Béatrice entra sur le plateau, le public applaudit. Elle s’assit sur le canapé rouge, comme lui avait indiqué l’homme de tout à l’heure. C’est à ce moment qu’elle croisa le regard d’Eric D., elle l’avait vu juste de dos et de loin auparavant. Il devait avoir la quarantaine. Béatrice l’avait imaginé plus vieux, jamais elle n’avait pensé qu’il pouvait avoir son âge. Elle avait quarante-deux, quarante-trois au mois de septembre. Ce regard ne dura que quelques secondes mais Béatrice crut qu’il durerait une éternité. Le présentateur avait l’air légèrement surpris, ou perturbé.
L’interview commença :
« - Bonjour Béatrice.
- Bonjour.
- Ce roman La fin du rêve eternel est donc sorti aux éditions «Flammarion» en 1998.
- Oui, c’est ça.
- Pouvez-vous, en quelques mots résumer l’histoire de votre roman ? Un roman autobiographique, c’est bien cela ?
- Et bien oui. C’est la période où j’ai divorcé, celle où j’ai beaucoup souffert, premièrement à cause de ma séparation, et deuxièmement par l’attitude de mon mari que je ne reconnaissais plus. Cette histoire raconte donc cette période difficile. Au début du livre, le divorce n’est même pas envisagé, c’est ensuite que s’entame une procédure de divorce.
- D’accord. Et quel message voulez-vous faire passer à travers votre livre ?
- Que même si l’on croit connaître une personne par cœur, il y a toujours quelque chose qui nous échappe, ou cette personne change, sans que l’on s’en aperçoive. Et puis, comme l’exprime le titre, on croit aimer son compagnon pour toujours, alors qu’un jour, ça se termine. »
L’interview continua encore pendant une vingtaine de minutes. Béatrice revint dans les coulisses. Après l’émission, elle prit une chambre d’hôtel et s’y installa pour la nuit. Elle devait repartir le lendemain.
Le lendemain matin, elle redescendit à la réception. Eric Durare l’attendait. Béatrice fut surprise, elle se dirigea vers lui et lui demanda :
« - Que faites-vous ici ?
- Je vous attendais.
- A bon ? Mais pourquoi ? Il y a un problème ?
- Nan nan, rassurez-vous, il n’y a aucun problème. Je souhaitais juste vous parler à vous, et pas à l’auteur, expliqua-t-il en souriant.
- Ben si vous voulez.
- Si je veux mais si vous voulez aussi. Ça vous dit qu’on fasse connaissance sur cette petite terrasse ? demanda-t-il en montrant la terrasse d’un café en face d’eux à l’extérieur de l’hôtel.
- Allez-y, je règle et j’arrive. »
Il sortit de l’hôtel en direction du café. Béatrice le rejoignit quelques minutes après. Ils firent connaissance, puis Eric proposa à Béatrice de la ramener chez elle. Elle accepta, en le prévenant qu’elle résidait dans le treizième arrondissement. Ce qui n’avait pas l’air de le déranger.
Béatrice voulut l’inviter à entrer déjeuner, mais l’image de son appartement en désordre lui revint. Elle l’invita donc à manger au restaurant à côté de son immeuble. L’après midi était déjà bien avancée. Eric partit prendre une chambre d’hôtel et Béatrice rentra chez elle.
Le lendemain, ils se revirent. Béatrice fit visiter le quartier chinois à Eric. Béatrice rentra chez elle vers vingt heures, elle préférait manger chez elle.
Elle travaillait le lendemain, mais ce n’est que très tardivement, dans son salon, qu’elle s’endormit. Elle avait pendant des heures rangé et nettoyé son appartement, qui était encore loin d’être en ordre et propre.
Ce n’est qu’à neuf heures qu’elle se réveilla, l’heure à laquelle aurait dû être à son travail. Elle se leva avec un atroce mal de dos, et s’habilla le plus vite qu’elle pouvait, et réussit à attraper le bus de neuf heures quinze. Ce fut un record. Elle arriva à la banque avec un quart d’heure de retard. Elle eût presque réussi à passer inaperçue, mais Suzanne l’interpella. Béatrice écourta la conversation et rejoignit son bureau.
Elle ne l’avait pas remarqué en entrant, ce n’est seulement lorsqu’elle voulut s’asseoir qu’elle vit le bouquet de fleurs posé sur son bureau. De petites fleurs bleues, dont elle ignorait le nom. Béatrice pensa au patron, mais elle s’enleva cette idée de la tête, ça ne pouvait pas être possible.
Elle alla voir sa collègue et lui demanda :
« - Qui est-ce qui a posé ces fleurs sur mon bureau ?
- C’est moi ! Un homme attendait devant la banque, il m’a demandé de te les remettre.
- A bon ? C’était qui ?
- Elle haussa les épaules. Ah je ne sais pas, je ne l’ai jamais vu.
- Il était comment physiquement ?
- Ben il m’a demandé de ne pas le décrire, qu’il fallait que tu trouves par toi-même qui il était. »
Béatrice la remercia et retourna à son bureau, perplexe. Elle poussa le bouquet sur le côté pour pouvoir travailler, en dessous s’était cachée une petite carte bleue, du même bleu que les fleurs. Sur la carte était écrit : « Votre admirateur secret ». Béatrice sourit en poussant un petit souffle, cette signature l’amusa. Elle n’y pensa plus et se mit au travail.
Elle mit les fleurs dans un vase en rentrant chez elle, prit une douche, et se remit à ranger.
Eric et Béatrice se revirent plusieurs fois durant la semaine. Ils allaient déjeuner ensemble à l’heure de pause de Béatrice, et un soir ils dînèrent dans un restaurant chinois. Eric avait proposé plusieurs fois à Béatrice qu’au lieu de manger à l’extérieur ils auraient pu aller chez elle, mais le rangement n’étant pas terminé, elle refusait systématiquement.
Le même jour que la semaine précédente, le lundi, Béatrice trouva sur son bureau un autre bouquet. Cette fois-ci les fleurs étaient de couleur orange. Une carte également orange accompagnait le bouquet : « Parce que ce n’est que les fleurs qui ne durent pas éternellement, Votre admirateur secret. »
Béatrice était stupéfaite. Elle plaça cette deuxième carte dans son portefeuille, dans la même pochette que la première.
Le rangement de son appartement était enfin terminé. Il paraissait plus grand, plus spacieux, les pièces étaient lumineuses. On aurait dit que la décoration avait été refaite.
Le soir même elle invita Eric et des amis pour diner. Sa meilleure amie, Julie, qui avait déjà vu son appartement auparavant, se surprit à s’exclamer :
« Ouah ! On croirait une page dans les magazines de déco d’intérieur ! »
Les invités furent surpris, mais en rirent ensuite.
Environ deux mois plus tard, en septembre, Béatrice recevait toujours les fleurs tous les lundis avec une couleur différente à chaque fois accompagnées d’une phrase un lundi sur deux. Elle savait qu’elle connaissait cette écriture mais elle ne parvenait pas à se souvenir. Elle comprit que c’est grâce à ces phrases qu’elle trouverait l’ « admirateur secret ». Elle avait reçu dix bouquets et cinq phrases jusqu'à ce jour, le huit septembre. Elle relut les phrases plusieurs fois en cherchant d’où est-ce qu’elle connaissait cette écriture. Elle avait remarqué qu’elles avaient toutes un rapport avec son livre ou ce qu’elle avait dit à l’interview. Elle avait pensé à Eric, mais se rendit compte qu’elle s’était trompée, parce qu’elle était maintenant en couple avec lui, mais elle recevait tout de même les bouquets anonymement.
Béatrice cessa d’y penser, et se rendit chez Eric. Il avait acheté un appartement dans un immeuble à une centaine de mètres de celui de Béatrice. Ils étaient assis à table en train de boire un café, alors que Béatrice vit dépasser d’un des cartons pas encore rangés des photographies de classe. Elle se leva pour aller les regarder, lorsqu’Eric s’exclama :
« - Nan, laisse ! Euh… ce n’est pas intéressant.
- Mais si, je n’ai jamais vu de photo de toi lorsque tu étais jeune.
- Ca n’est pas si important, tu peux t’en passer, non ?
- Qu’est-ce qui te gêne ? Tu avais des boutons ? Plaisanta-t-elle.
- Nan, mais euh… »
Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase. Béatrice s’empara d’une des photographies de classe. Eric se leva pour la lui arracher, mais elle parvint à lire ce qui était inscrit en Allemand sur la petite ardoise que tenait fièrement un élève qu’elle reconnu :
« -Mais… tu étais dans mon collège, en Allemagne !
- … Oui
- Tu le savais ? Tu ne me l’avais pas dit ! Pourquoi ? »
Elle lui arracha la photographie des mains. Il la laissa faire. Elle examina la photographie, relevant la tête par moments pour comparer. Au bout d’un moment, son regard resta fixé sur un visage de la classe, releva la tête lentement. Elle resta silencieuse, des gouttes coulaient sur ses joues. Elle perça enfin le silence : « Thibaud Kowalski ? » Il fit oui de la tête. « Nan ! Ce… ce n’est pas vrai ! » Ajouta-t-elle. Béatrice semblait complètement bouleversée. Elle le regarda encore un instant, flouté par les larmes, puis elle courut vers la porte d’entrée. Elle se retourna avant de sortir et lui lança : « Mörder ! » Qui signifie « assassin ». Puis elle partit.
Deux jours après, le dix septembre, c’était l’anniversaire de Béatrice. Elle trouva sur son bureau deux bouquets de fleurs : le premier était de la part d’Eric, accompagné d’une carte. Elle ne la lut pas et jeta le tout à la poubelle. Le deuxième était un bouquet composé de dix fleurs de dix couleurs différentes, Les dix couleurs et sortes de fleurs qu’elle avait déjà reçus. La carte était rouge et y était imprimé « Joyeux anniversaire mon amour ». Béatrice la retourna et lut :
« Tu ne m’as toujours pas reconnu ? Tu ne vas pas tarder, tu me croiseras aujourd’hui.
Votre admirateur secret »
Béatrice trouvait cela curieux qu’il la tutoie dans ses phrases, et qu’il la vouvoie dans sa signature.
Le soir elle sortit de son bureau, avec quelques cadeaux de la part de ses collègues et le bouquet. Elle monta dans le bus, quelques minutes plus tard un homme lui demanda l’heure. Elle sursauta, elle pensa que c’était « Votre admirateur secret ». Elle le dévisagea et lui répondit :
« Mais je ne vous connaîs pas !
- Euh… Je ne vous connais pas non plus, on est obligé de connaître les gens pour leur demander l’heure ?
- Nan excusez-moi, il est… dix-huit heures vingt-et-un.
- Merci. »
Le bus s’arrêta à un arrêt, des passagers descendirent et d’autres montèrent. Il y avait une place vide à côté de Béatrice. Un homme s’assit à côté d’elle. Elle le dévisagea, tourna la tête, et retourna la tête. Elle continuait a regarder l’homme ainsi. Il l’avait remarquée, et, gêné, il lui demanda : « Madame, si vous voulez que je me déplace dites-le. » Elle s’excusa et lui dit que ce n’était pas la peine, puis elle le remercia.
Elle sortit du bus en face de son immeuble. Un homme dont on ne distinguait pas le visage à cause des fleurs qu’il avait partout s’approcha de Béatrice. On aurait dit d’un « fleuriste mobile ». Il lui proposa :
« Voulez-vous des fleurs madame ?
- J’en ai déjà assez, merci.
- Vous savez, les fleurs ne durent pas éternellement, on n’en a jamais trop. »
Béatrice reconnut la première phrase qu’elle avait reçue. « Parce que ce n’est que les fleurs qui ne durent pas éternellement ».
« - Votre admirateur secret ? Hésita-t-elle.
- Je connais quelqu’un qui s’appelle comme ça, mais ce n’est pas moi.
- A oui ? Qui est-ce ?
- Vous le connaissez aussi.
- Où puis-je le trouver ?
- Derrière vous. »
Béatrice fut surprise par cette réponse et se retourna. Derrière elle, se trouvait le restaurant dans lequel elle avait l’habitude d’aller. Elle le remercia et se tourna pour se rendre dans le restaurant. Le « fleuriste mobile » l’interpella et lui conseilla d’aller poser ses affaires et se changer. C’est se qu’elle fit.
Elle se rendit au restaurant dix minutes plus tard. Elle entra, un serveur lui fit savoir qu’un homme l’attendait à une table qu’il lui indiqua. Elle était devant la table. Elle ne distinguait pas le visage de l’homme, il tenait la carte du restaurant devant. La voix derrière la carte l’invita à s’asseoir. C’est ce qu’elle fit.
« Alors ? Tu ne me reconnais toujours pas ? »
Béatrice crut reconnaître la voix de son ex-mari, mais n’en tint pas compte. « Votre admirateur secret » retira la carte de son visage. Béatrice resta sans voix un instant. Puis elle rompit le silence :
« Olivier ? Mais… pourquoi ?
- J’ai lu ton bouquin, je pensais que tu avais demandé le divorce parce que tu ne m’aimais plus. C’est pour ça que je n’ai pas donné de nouvelle après. Mais tu dis dans ton livre que c’est parce que je n’étais plus le même. C’est pour cette raison que je suis revenu, je pensais qu’en divorçant tu allais être heureuse par la suite, donc je t’ai laissée partir. J’aurais su, jamais je ne t’aurais laissée partir. Parce que je n’ai jamais cessé de t’aimer. Enfin, j’suis pas doué pour parler de ça, tu le sais bien, j’m’embrouille…
- Oui je sais, je comprends se que tu veux dire. Bon, on mange quoi ? »
Ils mangèrent et discutèrent jusque tard.
Elle était encore jolie, avait de sublimes cheveux châtain foncé, ondulés, qui lui descendaient jusqu’en bas du dos.
Elle devait prendre le bus de neuf heures moins le quart, mais elle prit celui de neuf heures, le temps de se préparer. Elle arriva donc à la banque à neuf heures et quart, elle avait un quart d’heure de retard. Béatrice voulut gagner son bureau sans se faire remarquer, mais une collègue s’écria : « Béa ! Dis tu sais quoi ? Le fils de la concierge de l’immeuble de Catherine se serait suicidé !
- Ah bon, dis donc c’est terrible, répond-elle d’un ton inintéressé.
- Oui, t’imagine, si toi tu perdais ton fils !
- Suzanne, je n’ai pas de fils.
- Ah oui ta fille pardon.
- Suzanne ! Quand est-ce que tu te souviendras que je n’ai pas d’enfants ! s’exclama-t-elle.
- Ah oui, mais tu sais, il y a tellement de personnes à qui j’aime tant parler qu’il m’arrive de m’emmêler les pinceaux ! Elle eu un petit rire.
- En même temps, t’es pas difficile… Tu parlerais même à mon clebs, plaisanta-t-elle tout bas.
- Mais pourquoi n’as-tu pas d’enfants ?
- Je hais les mômes ! Bon tu m’excuses, mais je suis déjà suffisamment en retard, il faut que j’aille travailler. Salut !
- Ah mais… »
Béatrice n’écouta pas ce que Susanne avait à ajouter, et continua sa route jusqu’à son bureau. Quand une main se pausa sur son épaule et une voix d’homme se fit entendre : « Mademoiselle Merkel !
- Oui ? répond-elle en se retournant.
- Alors vous êtes en retard…
- Oui… c’est… Elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase que l’homme reprit :
- Ca arrive de plus en plus souvent ces temps-ci. Pourrais-je savoir pourquoi ?
- Monsieur Lepiel, ma vie privée ne vous regarde pas !
- Oui, oui je comprends très bien… Et bien, euh… allez travailler.
- Merci. »
Béatrice lui tourna le dos et s’éloigna. L’homme était resté au même endroit, la regardant s’éloigner, se mordant la lèvre avec l’air ailleurs et triste.
Elle s’assit enfin à son bureau, alluma son ordinateur, et lorsqu’elle voulut se relever pour aller chercher un dossier, elle tomba nez à nez avec une femme.
- Ben dis t’as pas fait semblant d’être en retard se matin ! plaisanta cette dernière en souriant.
- Ah Françoise ! Tu m’as fait peur ! Oui t’as raison, en plus y a Suzanne qui m’a vue arriver, alors… Puis après, c’est le directeur qu’est venu encore essayer de savoir si j’avais trouvé quelqu’un d’autre. »
Françoise se mit à rire et elles continuèrent de discuter tout en travaillant.
A dix-huit heures quinze, Béatrice avait terminé sa journée, elle prit donc le bus de dix-huit heures trente. Elle arrive devant son immeuble à dix-neuf heures, elle prit son courrier, monta au cinquième étage et rentra chez elle.
Son appartement n’était pas très grand, assez sombre. Il semblait avoir été bien décoré, mais le désordre de l’appartement dévalorisait cette décoration. Béatrice n’invitait jamais personne chez elle, elle avait honte de ce désordre, et n’avait ni le temps ni le courage de ranger. Elle sortait souvent, voir du monde ou tout simplement une amie. Ce soir là, elle sortait, elle se rendait au restaurant avec sa meilleure amie, Julie, et son mari, Hervé.
Depuis son divorce, Béatrice fréquentait le moins possible d’hommes. Elle était donc restée célibataire depuis six ans. Pourtant beaucoup avait essayé de la séduire.
Béatrice avait rendez-vous à vingt heures au restaurant d’à côté. Il lui restait une heure environ pour se préparer. Elle commença par ouvrir son courrier : une carte postale, une lettre de sa mère restée en Allemagne, qui est son pays d’origine, deux ou trois publicités, et une lettre d’un expéditeur qu’elle ne reconnaissait pas. Elle ouvrit l’enveloppe et lut :
« Madame, » Mademoiselle ! se dit-elle.
« J’ai moi-même lu votre roman autobiographique que vous aviez écrit il y a cinq ans, La fin du rêve éternel et j’aurais apprécié de vous recevoir sur le plateau de « Un jour, un écrivain » pour vous poser quelques questions, parler de votre livre pour les téléspectateurs et moi-même qui ai adoré votre histoire.
Pourriez-vous nous répondre avant le 4 Juillet 2003,
Cordialement, Eric Durare, présentateur de l’émission « Un jour, un écrivain ».
Le 06 Juin 2003. »
La lettre se terminait par une signature délicate et soignée.
Béatrice replia la lettre lentement en réfléchissant, elle ne pensait plus à ce livre, pour elle, il n’avait pas été réussi, jamais elle n’aurait pensé être invitée à la télévision. Elle se promit d’y réfléchir plus tard, elle survola les autres lettres, gardant celle de sa mère de côté pour la lire plus tard et alla se préparer.
Elle descendit dîner avec son amie et remonta deux heures et demie plus tard.
Le lendemain, alors qu’elle était à son travail, elle répondit à la lettre qu’elle avait lue la veille que ce serait avec joie qu’elle participerait à leur émission.
Le mois passa, le 4 Juillet approchait. Béatrice avait déjà essayé tous les ensembles qu’elle possédait, mais elle n’arrivait pas à se décider. C’est alors qu’elle tomba sur une robe qu’elle n’avait pas mise depuis des années. Son premier reflexe fut de jeter la robe sur son lit derrière elle comme tous les autres vêtements qu’elle avait déjà essayés. Puis quand elle se retourna pour reprendre un haut, son regard se posa sur la robe… La minute d’après elle l’avait enfilée et observait son reflet dans le grand miroir de sa salle de bain. Béatrice était très élégante dans cette robe. Ce n’est pas ce qu’elle voyait, elle voyait la femme qui avait écrit ce livre. Elle se revoyait cinq années plus tôt, et se rendit compte qu’elle avait vraiment changé. C’est de cette manière que la tenue fut enfin trouvée.
Le 4 Juillet était un vendredi, le jour de congé fut accepté sans problème.
Elle se rendit en taxi à l’endroit indiqué dans une seconde lettre, « La tour France 3 » qui se trouve dans le quinzième arrondissement.
Elle fut bien accueillie. On l’invita à s’installer dans une loge, et on lui proposa du café. Un peu plus tard, quelqu’un vint la maquiller, une autre personne l’équiper d’un microphone, et encore une autre personne lui donna les questions qu’on allait lui poser, et lui expliqua à quel moment elle entrerait sur le plateau, quand elle en ressortirait, ce qu’elle devait faire ou ne pas faire…
L’heure arriva. L’émission se passait en direct, le tournage commençait dans deux minutes. Le présentateur était déjà en place sur le plateau, elle ne l’avait pas encore vu, ce qui l’avait étonnée. Elle aurait pensé que ce serait la première personne qu’elle allait rencontrer.
L’émission commence, Eric Durare parle. Puis après quelques minutes, il présenta son invitée :
« Aujourd’hui nous accueillons Béatrice Merkel, l’auteur du roman La fin du rêve éternel !
Béatrice entra sur le plateau, le public applaudit. Elle s’assit sur le canapé rouge, comme lui avait indiqué l’homme de tout à l’heure. C’est à ce moment qu’elle croisa le regard d’Eric D., elle l’avait vu juste de dos et de loin auparavant. Il devait avoir la quarantaine. Béatrice l’avait imaginé plus vieux, jamais elle n’avait pensé qu’il pouvait avoir son âge. Elle avait quarante-deux, quarante-trois au mois de septembre. Ce regard ne dura que quelques secondes mais Béatrice crut qu’il durerait une éternité. Le présentateur avait l’air légèrement surpris, ou perturbé.
L’interview commença :
« - Bonjour Béatrice.
- Bonjour.
- Ce roman La fin du rêve eternel est donc sorti aux éditions «Flammarion» en 1998.
- Oui, c’est ça.
- Pouvez-vous, en quelques mots résumer l’histoire de votre roman ? Un roman autobiographique, c’est bien cela ?
- Et bien oui. C’est la période où j’ai divorcé, celle où j’ai beaucoup souffert, premièrement à cause de ma séparation, et deuxièmement par l’attitude de mon mari que je ne reconnaissais plus. Cette histoire raconte donc cette période difficile. Au début du livre, le divorce n’est même pas envisagé, c’est ensuite que s’entame une procédure de divorce.
- D’accord. Et quel message voulez-vous faire passer à travers votre livre ?
- Que même si l’on croit connaître une personne par cœur, il y a toujours quelque chose qui nous échappe, ou cette personne change, sans que l’on s’en aperçoive. Et puis, comme l’exprime le titre, on croit aimer son compagnon pour toujours, alors qu’un jour, ça se termine. »
L’interview continua encore pendant une vingtaine de minutes. Béatrice revint dans les coulisses. Après l’émission, elle prit une chambre d’hôtel et s’y installa pour la nuit. Elle devait repartir le lendemain.
Le lendemain matin, elle redescendit à la réception. Eric Durare l’attendait. Béatrice fut surprise, elle se dirigea vers lui et lui demanda :
« - Que faites-vous ici ?
- Je vous attendais.
- A bon ? Mais pourquoi ? Il y a un problème ?
- Nan nan, rassurez-vous, il n’y a aucun problème. Je souhaitais juste vous parler à vous, et pas à l’auteur, expliqua-t-il en souriant.
- Ben si vous voulez.
- Si je veux mais si vous voulez aussi. Ça vous dit qu’on fasse connaissance sur cette petite terrasse ? demanda-t-il en montrant la terrasse d’un café en face d’eux à l’extérieur de l’hôtel.
- Allez-y, je règle et j’arrive. »
Il sortit de l’hôtel en direction du café. Béatrice le rejoignit quelques minutes après. Ils firent connaissance, puis Eric proposa à Béatrice de la ramener chez elle. Elle accepta, en le prévenant qu’elle résidait dans le treizième arrondissement. Ce qui n’avait pas l’air de le déranger.
Béatrice voulut l’inviter à entrer déjeuner, mais l’image de son appartement en désordre lui revint. Elle l’invita donc à manger au restaurant à côté de son immeuble. L’après midi était déjà bien avancée. Eric partit prendre une chambre d’hôtel et Béatrice rentra chez elle.
Le lendemain, ils se revirent. Béatrice fit visiter le quartier chinois à Eric. Béatrice rentra chez elle vers vingt heures, elle préférait manger chez elle.
Elle travaillait le lendemain, mais ce n’est que très tardivement, dans son salon, qu’elle s’endormit. Elle avait pendant des heures rangé et nettoyé son appartement, qui était encore loin d’être en ordre et propre.
Ce n’est qu’à neuf heures qu’elle se réveilla, l’heure à laquelle aurait dû être à son travail. Elle se leva avec un atroce mal de dos, et s’habilla le plus vite qu’elle pouvait, et réussit à attraper le bus de neuf heures quinze. Ce fut un record. Elle arriva à la banque avec un quart d’heure de retard. Elle eût presque réussi à passer inaperçue, mais Suzanne l’interpella. Béatrice écourta la conversation et rejoignit son bureau.
Elle ne l’avait pas remarqué en entrant, ce n’est seulement lorsqu’elle voulut s’asseoir qu’elle vit le bouquet de fleurs posé sur son bureau. De petites fleurs bleues, dont elle ignorait le nom. Béatrice pensa au patron, mais elle s’enleva cette idée de la tête, ça ne pouvait pas être possible.
Elle alla voir sa collègue et lui demanda :
« - Qui est-ce qui a posé ces fleurs sur mon bureau ?
- C’est moi ! Un homme attendait devant la banque, il m’a demandé de te les remettre.
- A bon ? C’était qui ?
- Elle haussa les épaules. Ah je ne sais pas, je ne l’ai jamais vu.
- Il était comment physiquement ?
- Ben il m’a demandé de ne pas le décrire, qu’il fallait que tu trouves par toi-même qui il était. »
Béatrice la remercia et retourna à son bureau, perplexe. Elle poussa le bouquet sur le côté pour pouvoir travailler, en dessous s’était cachée une petite carte bleue, du même bleu que les fleurs. Sur la carte était écrit : « Votre admirateur secret ». Béatrice sourit en poussant un petit souffle, cette signature l’amusa. Elle n’y pensa plus et se mit au travail.
Elle mit les fleurs dans un vase en rentrant chez elle, prit une douche, et se remit à ranger.
Eric et Béatrice se revirent plusieurs fois durant la semaine. Ils allaient déjeuner ensemble à l’heure de pause de Béatrice, et un soir ils dînèrent dans un restaurant chinois. Eric avait proposé plusieurs fois à Béatrice qu’au lieu de manger à l’extérieur ils auraient pu aller chez elle, mais le rangement n’étant pas terminé, elle refusait systématiquement.
Le même jour que la semaine précédente, le lundi, Béatrice trouva sur son bureau un autre bouquet. Cette fois-ci les fleurs étaient de couleur orange. Une carte également orange accompagnait le bouquet : « Parce que ce n’est que les fleurs qui ne durent pas éternellement, Votre admirateur secret. »
Béatrice était stupéfaite. Elle plaça cette deuxième carte dans son portefeuille, dans la même pochette que la première.
Le rangement de son appartement était enfin terminé. Il paraissait plus grand, plus spacieux, les pièces étaient lumineuses. On aurait dit que la décoration avait été refaite.
Le soir même elle invita Eric et des amis pour diner. Sa meilleure amie, Julie, qui avait déjà vu son appartement auparavant, se surprit à s’exclamer :
« Ouah ! On croirait une page dans les magazines de déco d’intérieur ! »
Les invités furent surpris, mais en rirent ensuite.
Environ deux mois plus tard, en septembre, Béatrice recevait toujours les fleurs tous les lundis avec une couleur différente à chaque fois accompagnées d’une phrase un lundi sur deux. Elle savait qu’elle connaissait cette écriture mais elle ne parvenait pas à se souvenir. Elle comprit que c’est grâce à ces phrases qu’elle trouverait l’ « admirateur secret ». Elle avait reçu dix bouquets et cinq phrases jusqu'à ce jour, le huit septembre. Elle relut les phrases plusieurs fois en cherchant d’où est-ce qu’elle connaissait cette écriture. Elle avait remarqué qu’elles avaient toutes un rapport avec son livre ou ce qu’elle avait dit à l’interview. Elle avait pensé à Eric, mais se rendit compte qu’elle s’était trompée, parce qu’elle était maintenant en couple avec lui, mais elle recevait tout de même les bouquets anonymement.
Béatrice cessa d’y penser, et se rendit chez Eric. Il avait acheté un appartement dans un immeuble à une centaine de mètres de celui de Béatrice. Ils étaient assis à table en train de boire un café, alors que Béatrice vit dépasser d’un des cartons pas encore rangés des photographies de classe. Elle se leva pour aller les regarder, lorsqu’Eric s’exclama :
« - Nan, laisse ! Euh… ce n’est pas intéressant.
- Mais si, je n’ai jamais vu de photo de toi lorsque tu étais jeune.
- Ca n’est pas si important, tu peux t’en passer, non ?
- Qu’est-ce qui te gêne ? Tu avais des boutons ? Plaisanta-t-elle.
- Nan, mais euh… »
Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase. Béatrice s’empara d’une des photographies de classe. Eric se leva pour la lui arracher, mais elle parvint à lire ce qui était inscrit en Allemand sur la petite ardoise que tenait fièrement un élève qu’elle reconnu :
« Classe de 4ème B,
Années 1973-1974 ;
Collège Albertville »
« -Mais… tu étais dans mon collège, en Allemagne !
- … Oui
- Tu le savais ? Tu ne me l’avais pas dit ! Pourquoi ? »
Elle lui arracha la photographie des mains. Il la laissa faire. Elle examina la photographie, relevant la tête par moments pour comparer. Au bout d’un moment, son regard resta fixé sur un visage de la classe, releva la tête lentement. Elle resta silencieuse, des gouttes coulaient sur ses joues. Elle perça enfin le silence : « Thibaud Kowalski ? » Il fit oui de la tête. « Nan ! Ce… ce n’est pas vrai ! » Ajouta-t-elle. Béatrice semblait complètement bouleversée. Elle le regarda encore un instant, flouté par les larmes, puis elle courut vers la porte d’entrée. Elle se retourna avant de sortir et lui lança : « Mörder ! » Qui signifie « assassin ». Puis elle partit.
Deux jours après, le dix septembre, c’était l’anniversaire de Béatrice. Elle trouva sur son bureau deux bouquets de fleurs : le premier était de la part d’Eric, accompagné d’une carte. Elle ne la lut pas et jeta le tout à la poubelle. Le deuxième était un bouquet composé de dix fleurs de dix couleurs différentes, Les dix couleurs et sortes de fleurs qu’elle avait déjà reçus. La carte était rouge et y était imprimé « Joyeux anniversaire mon amour ». Béatrice la retourna et lut :
« Tu ne m’as toujours pas reconnu ? Tu ne vas pas tarder, tu me croiseras aujourd’hui.
Votre admirateur secret »
Béatrice trouvait cela curieux qu’il la tutoie dans ses phrases, et qu’il la vouvoie dans sa signature.
Le soir elle sortit de son bureau, avec quelques cadeaux de la part de ses collègues et le bouquet. Elle monta dans le bus, quelques minutes plus tard un homme lui demanda l’heure. Elle sursauta, elle pensa que c’était « Votre admirateur secret ». Elle le dévisagea et lui répondit :
« Mais je ne vous connaîs pas !
- Euh… Je ne vous connais pas non plus, on est obligé de connaître les gens pour leur demander l’heure ?
- Nan excusez-moi, il est… dix-huit heures vingt-et-un.
- Merci. »
Le bus s’arrêta à un arrêt, des passagers descendirent et d’autres montèrent. Il y avait une place vide à côté de Béatrice. Un homme s’assit à côté d’elle. Elle le dévisagea, tourna la tête, et retourna la tête. Elle continuait a regarder l’homme ainsi. Il l’avait remarquée, et, gêné, il lui demanda : « Madame, si vous voulez que je me déplace dites-le. » Elle s’excusa et lui dit que ce n’était pas la peine, puis elle le remercia.
Elle sortit du bus en face de son immeuble. Un homme dont on ne distinguait pas le visage à cause des fleurs qu’il avait partout s’approcha de Béatrice. On aurait dit d’un « fleuriste mobile ». Il lui proposa :
« Voulez-vous des fleurs madame ?
- J’en ai déjà assez, merci.
- Vous savez, les fleurs ne durent pas éternellement, on n’en a jamais trop. »
Béatrice reconnut la première phrase qu’elle avait reçue. « Parce que ce n’est que les fleurs qui ne durent pas éternellement ».
« - Votre admirateur secret ? Hésita-t-elle.
- Je connais quelqu’un qui s’appelle comme ça, mais ce n’est pas moi.
- A oui ? Qui est-ce ?
- Vous le connaissez aussi.
- Où puis-je le trouver ?
- Derrière vous. »
Béatrice fut surprise par cette réponse et se retourna. Derrière elle, se trouvait le restaurant dans lequel elle avait l’habitude d’aller. Elle le remercia et se tourna pour se rendre dans le restaurant. Le « fleuriste mobile » l’interpella et lui conseilla d’aller poser ses affaires et se changer. C’est se qu’elle fit.
Elle se rendit au restaurant dix minutes plus tard. Elle entra, un serveur lui fit savoir qu’un homme l’attendait à une table qu’il lui indiqua. Elle était devant la table. Elle ne distinguait pas le visage de l’homme, il tenait la carte du restaurant devant. La voix derrière la carte l’invita à s’asseoir. C’est ce qu’elle fit.
« Alors ? Tu ne me reconnais toujours pas ? »
Béatrice crut reconnaître la voix de son ex-mari, mais n’en tint pas compte. « Votre admirateur secret » retira la carte de son visage. Béatrice resta sans voix un instant. Puis elle rompit le silence :
« Olivier ? Mais… pourquoi ?
- J’ai lu ton bouquin, je pensais que tu avais demandé le divorce parce que tu ne m’aimais plus. C’est pour ça que je n’ai pas donné de nouvelle après. Mais tu dis dans ton livre que c’est parce que je n’étais plus le même. C’est pour cette raison que je suis revenu, je pensais qu’en divorçant tu allais être heureuse par la suite, donc je t’ai laissée partir. J’aurais su, jamais je ne t’aurais laissée partir. Parce que je n’ai jamais cessé de t’aimer. Enfin, j’suis pas doué pour parler de ça, tu le sais bien, j’m’embrouille…
- Oui je sais, je comprends se que tu veux dire. Bon, on mange quoi ? »
Ils mangèrent et discutèrent jusque tard.