Un exil réussi

Ca y est, c’était fait. L’échappée belle, la parfaite évasion, l’envol inattendu. Oui ça y est Béatrice Merkel y était enfin parvenue, parvenue à être seule. En effet je vous l’accorde cher lecteur, cela peut paraître étrange voire invraisemblable, mais madame Merkel aimait et désirait depuis quelques années être seule. Seule pour elle cela signifiait sans mari, sans famille, sans amis, c’est à dire sans tout ce dont quatre-vingt-dix-neuf personnes sur cent croient essentiel pour vivre. Beatrice n’avait gardé pour elle que Squik, son fidèle cocker. Maintenant peut être qu’il vous serait agréable de savoir comment et quand cette fugue s’est déroulée ? Tiens justement voici Beatrice qui ouvre un carnet vierge, se pose près de sa cheminée pour ressentir la chaleur et le réconfort du feu. Elle saisit un stylo plume, vérifie que ce dernier possède une cartouche d’encre, enfin commence à faire glisser le stylo plume sur la première page de son carnet pour y inscrire « Un exil réussi…»

Béatrice avait grandi dans un village dans la banlieue de Berlin, en Allemagne, elle avait eu une enfance heureuse avec toute la panoplie de la parfaite petite fille gâtée : des poupées par dizaines, des montagnes de cadeaux à chacun de ses anniversaires, un joli vélo rose qui, bien sûr, possédait une sonnette, un placard rempli de robes, jupes, blouses et chaussures vernies qui lui allaient à ravir, un entourage aimant et deux grandes sœurs qu’elle adorait embêter… Elle grandit, grandit, puis à l’âge de vingt-deux ans elle rencontra Wolfgang un ami d’un ami de l’époque. Wolfgang était un homme très souriant qui aimait lire des bandes dessinées au contraire de Béatrice qui, elle, préférait les romans (surtout les policiers), il fumait de temps à autre tandis qu’elle bannissait de sa vie toute substance nocive pour sa santé car la jeune femme craignait toutes les substances cancérigènes.

Beatrice était conseillère clientèle dans une banque internationale tandis que son fiancé, lui, avait choisi l’éducation, et précisément il enseignait les mathématiques dans un collège d’environ cinq cent élèves. Ils menaient une vie plutôt simple mais tellement heureuse. Ils s’étaient mis d’accord pour ne pas avoir d’enfant. Wolfgang n’en voulait pas car il voyait tous les jours comment les gentilles petites têtes innocentes grandissent vite et arrivés au collège se conduisent plus ou moins mal tandis que Béatrice elle, n’en désirait pas car elle avait toujours aimé le doux silence qui règne le soir quand elle rentrait chez elle et s’était dit qu’avec des enfants dans sa vie, elle ne retrouverait jamais ce calme serein qui la détendait après chaque journée de travail. Au bout de sept ans de vie commune, Wolfgang demanda à Béatrice de l’épouser, la cérémonie fut très réussie. Ca avait été le plus beau jour de leur vie…


Petit à petit, Beatrice ne prenait plus goût à rien, cela commença par son travail, elle ne disait plus bonjour à tous ses collègues même ceux qu’elle aimait bien, mais filait directement à son poste guettant l’arrivée du premier client de la journée.

Puis lorsqu’elle rentrait chez elle, elle ne s’arrêtait plus chez le libraire pour partir à la recherche de nouveaux ouvrages. Wolfgang, inquiet l’emmena chez le médecin, ce dernier diagnostiqua une dépression. Béatrice faillit éclater de rire quand elle entendit le dignostic, ça lui paraissait invraisemblable, elle se lassait voilà tout. Comme remède à la dépression Beatrice devait faire ce qui lui faisait plaisir sans se soucier des autres. Wolfgang fut très attentif à elle pendant cette période, il lui offrit même un chien, un petit cocker, en pensant qu’un petit pet de compagnie ne pouvait que faire du bien. Elle l’appela Squik sans aucune raison particulière, juste parce qu’elle aimait ce nom.

Malheureusement, Squik ne fut pas un réel soutien pour Béatrice, elle était de moins en moins épanouie et heureuse. Au fond d’elle elle savait où était le problème, elle étouffait… Elle n’en pouvait plus de tout cela : le froid hivernal, les « ça va ? » trop fréquents de Wolfgang, sa famille qui l’appelait tous les jours alors qu’elle allait bien. Et puis au bout de plusieurs semaines d’hésitations, elle alla voir son directeur afin de se faire muter dans une autre banque, si possible à l’étranger ou dans un endroit où personne n’aurait l’idée de la retrouver. Il proposa Paris elle accepta, laissa les papiers de divorce ainsi qu’une lettre sur la table du salon et partit en pleine nuit, en prenant soin d’emporter Squik avec elle car malgré tout on s’y attache vite à ces petites bêtes.

Et voilà comment elle arriva à Paris, seule. Demain Béatrice commence son premier jour de travail ici, la langue ne la dérange pas étant donné que la tante de Béatrice était française et par conséquent Béatrice pour pouvoir communiquer avec elle avait appris le français à l’école.

Cela fait maintenant deux mois que Béatrice vit à Paris, elle aime sa nouvelle vie de citadine libre, le matin elle prend le métro pour aller à son travail, une fois là-bas, elle prend un café avec ses collègues qui sont d’ailleurs bien plus gentils que ceux qu’elle avait en Allemagne. Après son travail elle rentre chez elle, parfois à pied ou en métro. En arrivant dans son petit appartement situé dans le 13e arrondissement, Beatrice passe parfois quelques dizaines de minutes à écouter les bruits des rues parisiennes car cela la repose. Tout son quotidien, elle le raconte soit à une de ses collègues attentives qu’elle apprécie, soit à ses voisins de palier avec qui elle s’entend très bien aussi.

Béatrice était heureuse, elle se sentait vivre, comme si tout un courant de nouveauté l’avait traversé et qui en était ressorti une autre personne… Elle espérait que cela puisse durer et durer sans que personne ne puisse la retrouver. Elle souhaitait chaque soir en rentrant chez elle ne trouver aucune lettre ou aucun message sur son répondeur où elle reconnaîtrait les voix familières de Wolfgang ou ses sœurs ou ses parents ou n’importe quelle personne de son ancien entourage.

C’est alors qu’après avoir noté toute son histoire dans un carnet, Béatrice posa son stylo, regarda en direction de la cheminée, elle prit son histoire, son passé, le tendit au dessus de feu, resta le bras tendu quelques secondes avant de décider que finalement elle ne voulait pas le brûler ni l’oublier …

CB
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