Je m'appelle Béatrice Merkel, je suis allemande, j'ai quarante-cinq ans et je vis à Paris dans le 13e arrondissement, au milieu d’un quartier HLM.
Je vis là depuis cinq ans, depuis que mon mari m’a quittée pour une autre.
A la suite de cela, j'ai touché le fond, multiplié les excès, je suis tombée dans la dépression.
N'ayant plus la force de me battre, j'ai démissionné de mon poste de conseillère clientèle chez LCL.
Peu après, je me suis retrouvée à multiplier les petits boulots pour m'en sortir.
Il faut dire que j'avais tout perdu et que désormais il me fallait trouver un moyen de vivre car j'avais trop de raisons de mourir.
Néanmoins, j'avais encore un rêve, un rêve qui me suit déjà depuis quarante ans, c'est le seul que j'ai refusé d'abandonner inconsciemment.
Il est 18h21 et voila déjà trois quarts d'heure que je suis allongée sur mon lit, à chercher un sens à ma vie. Curieusement, le Rêve a refait surface en moi. Je me relève doucement et reste assise quelques instants, je regarde ma montre elle affiche 18h34, d'un bond je me lève et me précipite dans le salon, déplace les meubles afin d'obtenir le plus d'espace possible au centre de la pièce.
L'horloge du salon affichait 18h56 quand j'enfilai ma veste et sortis de chez moi.
Il faisait très froid, la nuit sur Paris commençait à tomber, une fine pluie glaciale tombait sur mon visage usé par de nombreuses nuits sans sommeil. Lourdement je descendis la rue, et arrivai devant un magasin d'instruments de musique. Je regardais les vitrines, et mon attention fut attirée par des violons, qui joliment mis en scène me rappelaient le temps d'avant ; le temps où mon père jouait de la musique avec sa troupe dans une cave. En hiver, le froid y était insoutenable. Il m'arrivait souvent de ne plus sentir mes doigts et mes pieds, mais chaque samedi soir j'accompagnais mon père à ses concerts. C'était en 1966. J'avais cinq ans et haute de mon un mètre vingt-et-un, je voulais être comme mon père, je voulais transmettre l'émotion, faire rêver les autres, je voulais tout comme lui être pianiste.
- Pardon madame, disait une voix enfantine.
- Tut Tut a t-elle ajouté !
Doucement, j'ai tourné la tête, et sur le côté se tenait une petite fille vêtue d'une petite robe à fleurs rouges qui, entre ces mains, portait un joli chaton blanc.
- Pardon madame, a-t-elle répété, et c'est en pressant le pas que je suis entré dans le magasin, et à travers les grandes vitres bleutées de la porte je l'ai accompagnée du regard.
- Je peux vous aider ? me demanda une voix de ténor.
- Oui, oui, lui ai-je répondu en restant toujours face à la porte… Je voudrais voir vos pianos s'il vous plait.
- Suivez moi.
J'ai donc suivi cet homme et m'étant retournée trop tard, je n'ai pu voir son visage.
Il n'était pas bien grand. Il avait des cheveux cendrés, portait un pull bleu dont les manches dépassaient de son petit blouson noir. Il portait aussi un jean brut et des chaussures noires.
Autour de moi les instruments défilaient à la vitesse de mes pas.
-Voila nos plus beaux pianos m'a-t-il dit.
J’étais émerveillée devant la chose. J'ai avancé de quelques pas et me suis mise devant un piano en bois un peu ancien et je m'y suis installée. J'ai regardé derrière moi et l'homme me souriait.
Il avait les lèvres fines, un petit nez et de grands yeux chocolat, à cela venait s'ajouter une petite barbe de trois jours qui lui donnait un air sauvage.
Je me suis retournée et j’ai commencé à poser timidement mes doigts sur les touches. Peu à peu, je pris confiance et me lançai finalement à jouer. J'ai fermé les yeux et derrière moi j'entendis des pas s'approcher et cela m'a rappelé mon père, quand, petite, je jouais du piano. J'aimais l'entendre s'approcher lentement derrière moi. Il restait assis sans faire de bruits et quand j'arrivais au terme de ma partition, il m'applaudissait et venait me prendre dans ses bras, en me disant "je suis si fier de toi !" C'était sûrement la seule personne qui était fière de moi.
Après avoir fini, j'ai rouvert les yeux et l'homme se tenait juste près de moi.
-Vous jouez merveilleusement bien, vous êtes douée, m'a-t-il dit. Ses grand yeux chocolat me fixaient. ils étaient si profonds que j'aurais pu m'y noyer.
-Merci, lui ai-je répondu presque en chuchotant.`
-Dites moi, comment vous appelez-vous? m'a t-il demandé avec un large sourire.
-Euh ... Moi ? !
-Regardez derrière vous !
Et telle une idiote, je me mets à regarder derrière moi.
- Il n'y a personne il n'y a que vous et moi, me dit-il en riant.
J’étais gênée, et j'affichais un sourire un peu forcé.
-Je m'appelle Béatrice.
-Enchanté ! Moi, c'est Laurent.
-Ravie.
-Combien coûte ce piano? lui ai-je demandé.
-750 euros.
-Bien, je le prends.
C'était bien trop cher pour moi, mais je n'allais pas étaler ma peine et mes difficultés. Ce n'était pas dans mon genre.
-On a un petit souci madame, on ne pourra pas vous livrer aujourd'hui, je prends votre adresse et demain on vous livre à la première heure.
-D'accord.
Je suis passée à la caisse présenter ma carte bleue, composer mon code, donner mon adresse. La jeune fille me donna un petit papier vert inscrit de noir sur lequel était fixé l'heure pour la livraison : 9H3O.
-Laissez-moi vous ouvrir la porte! me dit Laurent.
Il m'ouvrit la porte ; je sortis et remontai la rue. J'ai voulu me retourner, mais je ne l'ai pas fait, car je sentais son regard sur moi.
Je poursuivai mon chemin. La nuit s'épaississait sans cesse ; la lumière des lampadaires tapait sur les voitures mal garées. J'essayais de lire l'heure mais je n'arrivais pas à bien distinguer les aiguilles, mais il devait être environ 20 heures.
J'arrivais devant le bâtiment, un groupe de jeunes traînait encore là.
Les murs de l’ascenseur étaient surchargés d'inscriptions, mais il y en avait là une bien belle qui disait: "Je trouverais mon chemin sans boussole" et dire que cela fait quarante ans que je cherche le mien par tous les moyens !... Et si le secret était de laisser faire le destin ?
L'ascenseur s'arrête, je sors, j’entends mon chien aboyer.
Je rentre chez moi et lui donne à manger, je me suis douchée et j’ai pris un bol de céréales en guise de dîner. Assise sur mon lit, le silence m'assourdissait. J'entendais les tic tacs de mon réveil. La pièce noyée dans le noir, je voyais la petite lumière rouge de la télé clignoter. Je me suis laissée glisser dans le lit et j’ai repensé à mon passé.
Le jour de mes huit ans, j'ai mis ma plus belle robe et mes petites chaussures dorées. Maman, elle, s'était enfermée dans sa chambre comme à son habitude.
J'ai poussé la porte de sa chambre et je l'ai vue noyer son désespoir dans un verre de whisky. Ma mère était telle une actrice perdue sur scène : elle non plus ne connaissait pas son rôle.
J'ai refermé la porte et les larmes sur mes joues se sont mises à couler. J'ai levé la tête et mes larmes continuaient leur traversée le long de mon cou pour finir absorbées par le col de ma jolie robe.
Maman avait oublié mon anniversaire.
-Votre livraison m'annonce t-il.
Je restai stupéfaite devant sa beauté. Tous les détails rassemblés de la veille donnait un chef d'œuvre, des traits magistraux, une élégance irréprochable, des expressions simples loin du superficiel, une pureté dans le regard qui n'était point comparable… Il m'était difficile de décrocher mon regard du sien.
-On vous le met où madame?...
Cette question posée par le jeune homme dont il était accompagné est venue briser cet instant magique.
-Dans le salon… Suivez moi.
Ils entrèrent et mirent le piano au milieu de la pièce.
Les regards entre moi et Laurent se sont multipliés, mon cœur battait comme jamais. L'installation du piano terminée, je les ai accompagnés à la porte. Laurent sort en dernier puis se retourne brusquement :
- Vous faites quoi ce soir ?... Non, je recommence ! Voulez-vous partager ma table ce soir ?
- Oui, mais seulement si vous me tutoyez.
- D'accord, a t-il répondu.
- Alors je viendrai te cherchez à huit heures précises, a t-il poursuivi.
Il descend rapidement les escaliers deux à deux alors que l'ascenseur est ouvert.
En refermant la porte, je réalisai que je venais d'être invitée, mais quelques instants ont suffi pour que mon excitation se dissipe.
Je me suis installée devant mon piano et j’ai joué encore et encore… J’ai joué sans m'arrêter, Le chien s'agitait à mes pieds !
Je suis restée des heures à jouer. Toutes ces années perdues, je voulais les rattraper. Je savais pourtant bien que ce n'était pas possible, mais le temps de quelques mélodies je voulais y croire.
Le chien, lui, redoublait d'agitation ce qui n'était pas dans son habitude.
Je pensais qu'il voulait faire un petit tour et quand je me décrochais enfin du piano pour aller le promener, j'ai remarqué que mon pauvre chien n'avait pas de quoi manger. J'ai aussi remarqué que j'avais manqué le petit déjeuner, le déjeuner, et que si je ne me pressais pas, c'était le dîner avec Laurent que j'allais manquer.
Il me restait à peine trente minutes avant que Laurent n’arrive.
C'est dans la précipitation que je me suis préparée et il était bien huit heures lorsqu’il frappa à ma porte. Juste le temps d’enfiler mes chaussures à talons en velours violet que j'avais achetées après le départ de mon mari pour me consoler. J'ai ouvert la porte et Laurent m'attendait les yeux baissés. Nous sommes descendus et avons pris place dans sa voiture. Je ne savais toujours pas où il allait m'emmener et je n'ai pas osé lui demander.
A travers les vitres teintées, je voyais les décors s'enchaîner, et cette impression de déjà vu me transperçait la peau.
C'était étrange comme cet endroit m'inspirait. Celui que j'ai contemplé il y a déjà vingt-sept ans par les grandes vitres du train allant de Wolfsburg à Francfort.
Et puis je n'avais pas oublié que papa lui était juif, et que moi aussi je l’étais quelque part.
Avec le peu d'argent qu'il me restait, j'ai acheté un dernier billet Francfort, Kehl j’ai traversé la frontière et j'étais à Strasbourg.
- On est où là ? m’interroge Laurent.
- Je ne sais pas! Tu es perdu ?
- Non, non je m'inquiétais, c'est tout. Depuis que nous sommes dans la voiture tu ne m'as pas dit un mot.
Nous sommes descendus et un léger vent me caressait le visage ; nous étions devant la Seine prés du Palais de Tokyo.
On a commencé à parler du beau temps et de fil en aiguille, nous nous sommes retrouvés à parler de nos vies sentimentales, quand il m'a dit qu'il avait quarante-huit ans et qu'il ne s'était jamais marié sous prétexte qu'il attendait la femme de sa vie. Cela m'avait bien secouée.
Nous avons marché le long de la Seine en parlant de tout et de rien, et nous sommes revenus sur nos pas et avons repris la voiture.
Je ne savais toujours pas où l'on était. Paris me montrait des faces que je n'avais pas encore vues jusqu'alors.
Et dire que cela fait cinq ans que j’habite Paris. Le plus étrange, c'est que même les rues que j'empruntais de temps à autre avaient un autre visage. Tout ici, aux côtés de Laurent, était nouveau pour moi.
Il s'est arrêté devant un restaurant italien. A travers la grande porte vitrée, je voyais une femme dont les boucles brunes encadraient un visage sans aucune expression particulière, des yeux verts émeraude qui brillaient tels des étoiles, une silhouette dont les formes arrondies étaient vêtues d'une robe noire le tout avec un manteau descendant jusqu'aux cuisses.
Cette femme était belle, mais elle n'était pas à l'intérieur du restaurant, elle était à l'extérieur. Cette femme était mon reflet.
Nous avons mangé puis il m'a raccompagnée chez moi. Avant de descendre, il me dit dans le creux de l'oreille qu'il n'allait pas rentrer chez lui tant que la lumière dans mon appartement ne serait pas allumée. Cette soirée était tout droit sortie d'un conte de fées.
Chez moi, l'horloge affichait 1h54. Je me suis changée, ai pris mon chien sur mes genoux et me suis mise devant le piano; toutes les émotions de cette soirée je voulais les retranscrire en mélodies…
La vie suivait son cours. Notre relation, elle, se développait de jour en jour.
Les jours et les mois se succédaient, nos soirées se répétaient, notre amour grandissait; c'était un jour chez lui, un jour chez moi, le lendemain ailleurs loin de tout : c'était la Vie.
Mais le piano dominait toujours ma vie et cela plus que jamais.
D'ailleurs j'ai trouvé un emploi en tant qu'accordeuse de piano à l'opéra de la Bastille dans le 2e arrondissement.
L'histoire ainsi se répète jusqu'à ce jour d'été… Moi qui pensais que ça allait être un jour comme les autres, je me suis bien trompée.
Ce jour-là, tout commença mal. Laurent ne m'a pas appelée, alors qu'il le faisait toujours. Je l'ai cherché partout, chez lui, dans son magasin, dans son café préféré, il n'était nulle part. L'angoisse en moi s'est engouffrée, et la peur faisait trembler mes pas.
15h00 : aucune nouvelle. J'ai appelé son meilleur ami, mais lui non plus ne l'avait pas vu, et n'avait pas plus de nouvelles que moi, de même pour sa sœur.
17h30 : toujours pas de nouvelles. Je m'attendais au pire. Je me mis à mon piano et les notes qui s'en dégageaient me libérèrent quelques instants, apaisèrent mes maux de tête et soulagèrent ma peine.
18h07 : le téléphone sonne. Je décroche le coeur tremblant et j'entends la voix de Laurent qui me dit qu’à dix neuf heures je dois être à la maison de sa grand-mère, car il a des choses de la plus haute importance à me faire entendre. Et ce fut tout, il ne m'a pas laissé le temps de lui demander si tout allait bien, ni pour quelle raison je n'ai pas eu de ses nouvelles jusqu'alors.
19h06 : j'arrivais à la maison de sa grand-mère, c'était un paradis en plein cœur de Paris, on se croyait en province. La maison était un peu ancienne et à première vue on avait cette impression que les murs étaient faits de terre. L'air y était frais, un parfum de chèvrefeuille et de cannelle remplissait l'atmosphère. C'était le meilleur endroit pour fuir l'enfer de Paris.
Mais la maison semblait déserte. J’entre et au milieu de la cour, Laurent m’attendait.
Il ne m'a pas permis de lui demander quoi que ce soit.
Il m'a juste répété qu'il devait me dire des choses très importantes; il m'a fait asseoir à une table juste pour deux personnes. Elle était recouverte d'une nappe noire brillante avec une bougie standard au milieu, un verre rempli d'un vin rosé dont la couleur était juste surprenante se dressait devant moi.
Cette couleur me rappelait beaucoup trop de choses, et pendant que Laurent s'affairait en cuisine, je me remis à penser au jour où mon mari m'a annoncé qu'il me quittait.
C'était dans un restaurant ; à peine le serveur nous a-t-il servi le vin, il me dit qu'il ne veut pas me faire de mal, qu'il ne peut plus se mentir ou plutôt me mentir. Il en aimait une autre.
A cet instant, tout autour de moi s'est effondré, je suis restée abasourdie.
Une femme dix ans plus jeune que moi s'est levée un peu plus loin, et s'est approchée de notre table. Elle s'est approchée de plus en plus, jusqu'à mettre sa main sur l'épaule de mon mari, de son amant.
- Il s’est levé et m’a dit : "c'est elle! C'est la femme que j'aime!"
Ils sont sortis main dans la main sans se retourner, et je suis restée là devant mon verre.
***
- Ca risque d'être un peu chaud, me dit Laurent, en posant les assiettes sur la table.
Je n'avais pas très faim, mon estomac était noué. J'étais prise de nausée.
Soudain il prit un ton grave et commença :
Aujourd'hui sa fait sept mois que l'on est ensemble, et pour tout te dire, je n'en peux plus, si tu es là aujourd'hui, c'est parce qu'il faut que je te le dise.
Il eut un blanc dans lequel je pouvais presque entendre les battements accélérés de mon cœur. Il se lève, plie sa serviette, la pose sur la table, met ses mains dans ses poches, s'approche de moi et me dit d'une voix à couper le souffle " Veux-tu m'épouser ?"
De sa poche il sort une alliance qu'il tenait entre son pouce et son index. Je voulais me lever mais cela m'était très difficile, mes chaussures glissaient sur les dalles.
- Dis quelque chose! me demande-t-il en me suppliant du regard.
Mais ça c'était une chose que je ne pouvais faire, chaque seconde qui passait, ma gorge se desséchait de plus en plus.
J'ai peiné mais j'ai réussi à me lever, en restant quelques instants devant lui, je sentais son souffle chaud frapper contre ma joue ; dans ma tête les points d'interrogations se bousculaient, j'avais si peur que le passage de ma triste vie se répète encore une fois.
- Je ne peux pas.
- Pourquoi ? me questionne-t-il.
- Ne me demande rien…
La déception sur son visage pouvait se lire.
- Je t'aime et j'ai cru que tu m'aimais.
- Mais si, je ...
Je n'ai pas eu le temps de répondre, qu'il s'interpose en me disant :
- Tiens cette alliance est pour toi, garde-là ; réfléchis bien car tu sais, dans la vie, il n'y a pas de retour en arrière, car derrière toi, tout sera déjà mis en poussière.
Il prit ma main et y posa la bague. Je la serrais très fort, Laurent tenait mon poing fermé entre ses mains doucement il en approchait ses lèvres et à ce moment même je me suis retournée et me mis à courir. Je ne savais pas où j'allais, mais je courais quand même. Je ne savais pas quoi faire, j'ai fui devant l'amour que m'offrait cet homme, oui, j'ai préféré fuir que d'affronter la vérité en face.
En courant, des clés sont tombées de ma poche, les clés de l'opéra, j'ai pris un taxi pour m'y rendre, et j'y suis entrée, il n'y avait pas grand monde, seulement quelques techniciens qui rôdaient par-ci, par-là.
J'avançais dans l'allée peu éclairée, qui me donna le sentiment d'être encore plus perdue.
Soudain en plein été, la pluie sur mon coeur s'est mise à tomber ; mes yeux s'embrumaient.
Et c'est sur la grande scène que je suis allée retrouver le grand piano.
J'ai tout d'abord commencé à pianoter, puis en même temps que mes larmes, mon improvisation suivait. La peine me détruisait et les notes allaient toutes droites avec se sentiment indescriptible.
La mélodie était très intense et très agressive elle avait aussi un côté mélancolique.
- Tu fais quoi ? ! Sors de là! me dit Benjamin, un technicien chargé de l'éclairage.
Et sans que j’aie le temps de quitter la scène, la lumière s'alluma et la foule m'applaudit.
Je venais d'exprimer ma peine devant une salle comble.
Deux semaines plus tard, après avoir bien réfléchi, je suis revenue pour exprimer mon choix à Laurent sauf qu'il n'était plus là, il avait quitté le pays. Sa sœur m'a dit qu'il était en Inde, son meilleur ami parlait de l'Italie et quant à son employée, elle parlait de Londres.
Personne ne savait où il était réellement.
J'ai changé d'appartement, j'ai changé de vie. La seule chose que je n'ai pas changée, c'est le piano.
Les années sont passées et les souvenirs peu a peu ont commencé à s'effacer.
Un jour, j'étais assise sur un des nombreux bancs du parc. Je lève les yeux de mon papier à musique et je vois un garçon d'environ un an courir en riant. Il portait un short en jeans avec un tee-shirt vert. Il avait aussi des petites chaussures noires ; à sa main droite, il tenait une figurine. Il avait de très beaux cheveux noirs qui suivaient chacun de ses mouvements, et quand ils venaient se mettre devant ces petits yeux bridés, il les chassait avec ses petits doigts.
Je replonge dans ma feuille. Soudain le petit garçon tombe à trois pas du banc. Je me pressai et alla le relever, son père un peu plus loin se pressait aussi.
- Papa, bafouillait l'enfant en pleurant.
Son père lui frotta les genoux.
- Merci, me dit le monsieur en fixant ma main ou plutôt la bague que Laurent m'avait offerte.
Je relève la tête : c'était Laurent.
Il me regarda droit dans les yeux et son visage se figea.
Puis il entrouvrit la bouche, mais rien, aucun son, aucun mot.
Il pris son fils et continua son chemin. Sans jeter un dernier regard, il emmena avec lui tous mes espoirs.
"Tu sais, dans la vie, il n'y a pas de retour en arrière, car derrière toi tout sera déjà mis en poussière." A cet instant, cette phrase s'est mise a résonner dans ma tête.
Je réalisais que toute cette histoire s'est passée trop vite comme si j'avais tourné les pages d'un livre trop vite.
Au loin, j'entendais l'enfant que portait Laurent crier "maman", une femme lui tendit les bras et il y trouva refuge, et quant aux lèvres de Laurent, elles ont venues se poser sur les siennes.
Je pose ma composition, sur le bord du banc, délicatement j'enlève ma bague et la mis par dessus.
Je me lève lentement et m'en vais à l'opposé de Laurent, dans un labyrinthe où mes sentiments et ma raison venaient de se perdre.
En marchant, j'ai senti quelqu'un me prendre la main ; c'était la douleur.
Je m'appelle Béatrice Merkel, je suis Allemande, j'ai quarante-huit ans et je vis à Paris dans le 2e arrondissement. Je vis là depuis un an et demi, depuis que j'ai perdu l'amour.
Je vis là depuis cinq ans, depuis que mon mari m’a quittée pour une autre.
A la suite de cela, j'ai touché le fond, multiplié les excès, je suis tombée dans la dépression.
N'ayant plus la force de me battre, j'ai démissionné de mon poste de conseillère clientèle chez LCL.
Peu après, je me suis retrouvée à multiplier les petits boulots pour m'en sortir.
Il faut dire que j'avais tout perdu et que désormais il me fallait trouver un moyen de vivre car j'avais trop de raisons de mourir.
Néanmoins, j'avais encore un rêve, un rêve qui me suit déjà depuis quarante ans, c'est le seul que j'ai refusé d'abandonner inconsciemment.
Il est 18h21 et voila déjà trois quarts d'heure que je suis allongée sur mon lit, à chercher un sens à ma vie. Curieusement, le Rêve a refait surface en moi. Je me relève doucement et reste assise quelques instants, je regarde ma montre elle affiche 18h34, d'un bond je me lève et me précipite dans le salon, déplace les meubles afin d'obtenir le plus d'espace possible au centre de la pièce.
L'horloge du salon affichait 18h56 quand j'enfilai ma veste et sortis de chez moi.
Il faisait très froid, la nuit sur Paris commençait à tomber, une fine pluie glaciale tombait sur mon visage usé par de nombreuses nuits sans sommeil. Lourdement je descendis la rue, et arrivai devant un magasin d'instruments de musique. Je regardais les vitrines, et mon attention fut attirée par des violons, qui joliment mis en scène me rappelaient le temps d'avant ; le temps où mon père jouait de la musique avec sa troupe dans une cave. En hiver, le froid y était insoutenable. Il m'arrivait souvent de ne plus sentir mes doigts et mes pieds, mais chaque samedi soir j'accompagnais mon père à ses concerts. C'était en 1966. J'avais cinq ans et haute de mon un mètre vingt-et-un, je voulais être comme mon père, je voulais transmettre l'émotion, faire rêver les autres, je voulais tout comme lui être pianiste.
- Pardon madame, disait une voix enfantine.
- Tut Tut a t-elle ajouté !
Doucement, j'ai tourné la tête, et sur le côté se tenait une petite fille vêtue d'une petite robe à fleurs rouges qui, entre ces mains, portait un joli chaton blanc.
- Pardon madame, a-t-elle répété, et c'est en pressant le pas que je suis entré dans le magasin, et à travers les grandes vitres bleutées de la porte je l'ai accompagnée du regard.
- Je peux vous aider ? me demanda une voix de ténor.
- Oui, oui, lui ai-je répondu en restant toujours face à la porte… Je voudrais voir vos pianos s'il vous plait.
- Suivez moi.
J'ai donc suivi cet homme et m'étant retournée trop tard, je n'ai pu voir son visage.
Il n'était pas bien grand. Il avait des cheveux cendrés, portait un pull bleu dont les manches dépassaient de son petit blouson noir. Il portait aussi un jean brut et des chaussures noires.
Autour de moi les instruments défilaient à la vitesse de mes pas.
-Voila nos plus beaux pianos m'a-t-il dit.
J’étais émerveillée devant la chose. J'ai avancé de quelques pas et me suis mise devant un piano en bois un peu ancien et je m'y suis installée. J'ai regardé derrière moi et l'homme me souriait.
Il avait les lèvres fines, un petit nez et de grands yeux chocolat, à cela venait s'ajouter une petite barbe de trois jours qui lui donnait un air sauvage.
Je me suis retournée et j’ai commencé à poser timidement mes doigts sur les touches. Peu à peu, je pris confiance et me lançai finalement à jouer. J'ai fermé les yeux et derrière moi j'entendis des pas s'approcher et cela m'a rappelé mon père, quand, petite, je jouais du piano. J'aimais l'entendre s'approcher lentement derrière moi. Il restait assis sans faire de bruits et quand j'arrivais au terme de ma partition, il m'applaudissait et venait me prendre dans ses bras, en me disant "je suis si fier de toi !" C'était sûrement la seule personne qui était fière de moi.
Après avoir fini, j'ai rouvert les yeux et l'homme se tenait juste près de moi.
-Vous jouez merveilleusement bien, vous êtes douée, m'a-t-il dit. Ses grand yeux chocolat me fixaient. ils étaient si profonds que j'aurais pu m'y noyer.
-Merci, lui ai-je répondu presque en chuchotant.`
-Dites moi, comment vous appelez-vous? m'a t-il demandé avec un large sourire.
-Euh ... Moi ? !
-Regardez derrière vous !
Et telle une idiote, je me mets à regarder derrière moi.
- Il n'y a personne il n'y a que vous et moi, me dit-il en riant.
J’étais gênée, et j'affichais un sourire un peu forcé.
-Je m'appelle Béatrice.
-Enchanté ! Moi, c'est Laurent.
-Ravie.
-Combien coûte ce piano? lui ai-je demandé.
-750 euros.
-Bien, je le prends.
C'était bien trop cher pour moi, mais je n'allais pas étaler ma peine et mes difficultés. Ce n'était pas dans mon genre.
-On a un petit souci madame, on ne pourra pas vous livrer aujourd'hui, je prends votre adresse et demain on vous livre à la première heure.
-D'accord.
Je suis passée à la caisse présenter ma carte bleue, composer mon code, donner mon adresse. La jeune fille me donna un petit papier vert inscrit de noir sur lequel était fixé l'heure pour la livraison : 9H3O.
-Laissez-moi vous ouvrir la porte! me dit Laurent.
Il m'ouvrit la porte ; je sortis et remontai la rue. J'ai voulu me retourner, mais je ne l'ai pas fait, car je sentais son regard sur moi.
Je poursuivai mon chemin. La nuit s'épaississait sans cesse ; la lumière des lampadaires tapait sur les voitures mal garées. J'essayais de lire l'heure mais je n'arrivais pas à bien distinguer les aiguilles, mais il devait être environ 20 heures.
J'arrivais devant le bâtiment, un groupe de jeunes traînait encore là.
Les murs de l’ascenseur étaient surchargés d'inscriptions, mais il y en avait là une bien belle qui disait: "Je trouverais mon chemin sans boussole" et dire que cela fait quarante ans que je cherche le mien par tous les moyens !... Et si le secret était de laisser faire le destin ?
L'ascenseur s'arrête, je sors, j’entends mon chien aboyer.
Je rentre chez moi et lui donne à manger, je me suis douchée et j’ai pris un bol de céréales en guise de dîner. Assise sur mon lit, le silence m'assourdissait. J'entendais les tic tacs de mon réveil. La pièce noyée dans le noir, je voyais la petite lumière rouge de la télé clignoter. Je me suis laissée glisser dans le lit et j’ai repensé à mon passé.
***
Peu avant mes huit ans, papa ne rentrait plus à la maison ; il ne venait plus me dire bonne nuit. Les mois et les années se sont succédés, mais papa ne rentrait toujours pas, et quand maman me disait qu'il était en voyage, je ne pouvais y croire car papa ne voyageait jamais et si c'était le cas, il me l'aurait dit.Le jour de mes huit ans, j'ai mis ma plus belle robe et mes petites chaussures dorées. Maman, elle, s'était enfermée dans sa chambre comme à son habitude.
J'ai poussé la porte de sa chambre et je l'ai vue noyer son désespoir dans un verre de whisky. Ma mère était telle une actrice perdue sur scène : elle non plus ne connaissait pas son rôle.
J'ai refermé la porte et les larmes sur mes joues se sont mises à couler. J'ai levé la tête et mes larmes continuaient leur traversée le long de mon cou pour finir absorbées par le col de ma jolie robe.
Maman avait oublié mon anniversaire.
***
Soudain un bruit. J'ouvre les yeux, et là juste en bas de mon lit, le bol laissé la veille sur ma commode a fini en éclats, et le soleil, lui, noyait ses flammes dans mes draps. A peine sortie de mon lit, j'entends sonner à ma porte. Le chien aboie. 9h23. On sonne à nouveau. Une troisième fois, une quatrième… puis la sonnerie n'est plus qu'une longue mélodie interminable J'ouvre la port. Laurent se tenait devant moi le sourire pendu aux lèvres.-Votre livraison m'annonce t-il.
Je restai stupéfaite devant sa beauté. Tous les détails rassemblés de la veille donnait un chef d'œuvre, des traits magistraux, une élégance irréprochable, des expressions simples loin du superficiel, une pureté dans le regard qui n'était point comparable… Il m'était difficile de décrocher mon regard du sien.
-On vous le met où madame?...
Cette question posée par le jeune homme dont il était accompagné est venue briser cet instant magique.
-Dans le salon… Suivez moi.
Ils entrèrent et mirent le piano au milieu de la pièce.
Les regards entre moi et Laurent se sont multipliés, mon cœur battait comme jamais. L'installation du piano terminée, je les ai accompagnés à la porte. Laurent sort en dernier puis se retourne brusquement :
- Vous faites quoi ce soir ?... Non, je recommence ! Voulez-vous partager ma table ce soir ?
- Oui, mais seulement si vous me tutoyez.
- D'accord, a t-il répondu.
- Alors je viendrai te cherchez à huit heures précises, a t-il poursuivi.
Il descend rapidement les escaliers deux à deux alors que l'ascenseur est ouvert.
En refermant la porte, je réalisai que je venais d'être invitée, mais quelques instants ont suffi pour que mon excitation se dissipe.
Je me suis installée devant mon piano et j’ai joué encore et encore… J’ai joué sans m'arrêter, Le chien s'agitait à mes pieds !
Je suis restée des heures à jouer. Toutes ces années perdues, je voulais les rattraper. Je savais pourtant bien que ce n'était pas possible, mais le temps de quelques mélodies je voulais y croire.
Le chien, lui, redoublait d'agitation ce qui n'était pas dans son habitude.
Je pensais qu'il voulait faire un petit tour et quand je me décrochais enfin du piano pour aller le promener, j'ai remarqué que mon pauvre chien n'avait pas de quoi manger. J'ai aussi remarqué que j'avais manqué le petit déjeuner, le déjeuner, et que si je ne me pressais pas, c'était le dîner avec Laurent que j'allais manquer.
Il me restait à peine trente minutes avant que Laurent n’arrive.
C'est dans la précipitation que je me suis préparée et il était bien huit heures lorsqu’il frappa à ma porte. Juste le temps d’enfiler mes chaussures à talons en velours violet que j'avais achetées après le départ de mon mari pour me consoler. J'ai ouvert la porte et Laurent m'attendait les yeux baissés. Nous sommes descendus et avons pris place dans sa voiture. Je ne savais toujours pas où il allait m'emmener et je n'ai pas osé lui demander.
A travers les vitres teintées, je voyais les décors s'enchaîner, et cette impression de déjà vu me transperçait la peau.
C'était étrange comme cet endroit m'inspirait. Celui que j'ai contemplé il y a déjà vingt-sept ans par les grandes vitres du train allant de Wolfsburg à Francfort.
***
C'est vrai qu'au début je ne voulais pas quitter l'Allemagne, mais quand je repensais à la veille, les images de ma mère habillée en blanc devant le prêtre, acceptant d'épouser un homme qui approchait la soixantaine, un homme qui pendant la guerre soutenait le nazisme et qui n'a pas hésité une seule seconde à tuer des innocents, j'étais dégoûtée par tout ce qui m'entourait.Et puis je n'avais pas oublié que papa lui était juif, et que moi aussi je l’étais quelque part.
Avec le peu d'argent qu'il me restait, j'ai acheté un dernier billet Francfort, Kehl j’ai traversé la frontière et j'étais à Strasbourg.
***
La voiture s'est arrêtée.- On est où là ? m’interroge Laurent.
- Je ne sais pas! Tu es perdu ?
- Non, non je m'inquiétais, c'est tout. Depuis que nous sommes dans la voiture tu ne m'as pas dit un mot.
Nous sommes descendus et un léger vent me caressait le visage ; nous étions devant la Seine prés du Palais de Tokyo.
On a commencé à parler du beau temps et de fil en aiguille, nous nous sommes retrouvés à parler de nos vies sentimentales, quand il m'a dit qu'il avait quarante-huit ans et qu'il ne s'était jamais marié sous prétexte qu'il attendait la femme de sa vie. Cela m'avait bien secouée.
Nous avons marché le long de la Seine en parlant de tout et de rien, et nous sommes revenus sur nos pas et avons repris la voiture.
Je ne savais toujours pas où l'on était. Paris me montrait des faces que je n'avais pas encore vues jusqu'alors.
Et dire que cela fait cinq ans que j’habite Paris. Le plus étrange, c'est que même les rues que j'empruntais de temps à autre avaient un autre visage. Tout ici, aux côtés de Laurent, était nouveau pour moi.
Il s'est arrêté devant un restaurant italien. A travers la grande porte vitrée, je voyais une femme dont les boucles brunes encadraient un visage sans aucune expression particulière, des yeux verts émeraude qui brillaient tels des étoiles, une silhouette dont les formes arrondies étaient vêtues d'une robe noire le tout avec un manteau descendant jusqu'aux cuisses.
Cette femme était belle, mais elle n'était pas à l'intérieur du restaurant, elle était à l'extérieur. Cette femme était mon reflet.
Nous avons mangé puis il m'a raccompagnée chez moi. Avant de descendre, il me dit dans le creux de l'oreille qu'il n'allait pas rentrer chez lui tant que la lumière dans mon appartement ne serait pas allumée. Cette soirée était tout droit sortie d'un conte de fées.
Chez moi, l'horloge affichait 1h54. Je me suis changée, ai pris mon chien sur mes genoux et me suis mise devant le piano; toutes les émotions de cette soirée je voulais les retranscrire en mélodies…
La vie suivait son cours. Notre relation, elle, se développait de jour en jour.
Les jours et les mois se succédaient, nos soirées se répétaient, notre amour grandissait; c'était un jour chez lui, un jour chez moi, le lendemain ailleurs loin de tout : c'était la Vie.
Mais le piano dominait toujours ma vie et cela plus que jamais.
D'ailleurs j'ai trouvé un emploi en tant qu'accordeuse de piano à l'opéra de la Bastille dans le 2e arrondissement.
L'histoire ainsi se répète jusqu'à ce jour d'été… Moi qui pensais que ça allait être un jour comme les autres, je me suis bien trompée.
Ce jour-là, tout commença mal. Laurent ne m'a pas appelée, alors qu'il le faisait toujours. Je l'ai cherché partout, chez lui, dans son magasin, dans son café préféré, il n'était nulle part. L'angoisse en moi s'est engouffrée, et la peur faisait trembler mes pas.
15h00 : aucune nouvelle. J'ai appelé son meilleur ami, mais lui non plus ne l'avait pas vu, et n'avait pas plus de nouvelles que moi, de même pour sa sœur.
17h30 : toujours pas de nouvelles. Je m'attendais au pire. Je me mis à mon piano et les notes qui s'en dégageaient me libérèrent quelques instants, apaisèrent mes maux de tête et soulagèrent ma peine.
18h07 : le téléphone sonne. Je décroche le coeur tremblant et j'entends la voix de Laurent qui me dit qu’à dix neuf heures je dois être à la maison de sa grand-mère, car il a des choses de la plus haute importance à me faire entendre. Et ce fut tout, il ne m'a pas laissé le temps de lui demander si tout allait bien, ni pour quelle raison je n'ai pas eu de ses nouvelles jusqu'alors.
19h06 : j'arrivais à la maison de sa grand-mère, c'était un paradis en plein cœur de Paris, on se croyait en province. La maison était un peu ancienne et à première vue on avait cette impression que les murs étaient faits de terre. L'air y était frais, un parfum de chèvrefeuille et de cannelle remplissait l'atmosphère. C'était le meilleur endroit pour fuir l'enfer de Paris.
Mais la maison semblait déserte. J’entre et au milieu de la cour, Laurent m’attendait.
Il ne m'a pas permis de lui demander quoi que ce soit.
Il m'a juste répété qu'il devait me dire des choses très importantes; il m'a fait asseoir à une table juste pour deux personnes. Elle était recouverte d'une nappe noire brillante avec une bougie standard au milieu, un verre rempli d'un vin rosé dont la couleur était juste surprenante se dressait devant moi.
Cette couleur me rappelait beaucoup trop de choses, et pendant que Laurent s'affairait en cuisine, je me remis à penser au jour où mon mari m'a annoncé qu'il me quittait.
C'était dans un restaurant ; à peine le serveur nous a-t-il servi le vin, il me dit qu'il ne veut pas me faire de mal, qu'il ne peut plus se mentir ou plutôt me mentir. Il en aimait une autre.
A cet instant, tout autour de moi s'est effondré, je suis restée abasourdie.
Une femme dix ans plus jeune que moi s'est levée un peu plus loin, et s'est approchée de notre table. Elle s'est approchée de plus en plus, jusqu'à mettre sa main sur l'épaule de mon mari, de son amant.
- Il s’est levé et m’a dit : "c'est elle! C'est la femme que j'aime!"
Ils sont sortis main dans la main sans se retourner, et je suis restée là devant mon verre.
***
Je n'avais pas très faim, mon estomac était noué. J'étais prise de nausée.
Soudain il prit un ton grave et commença :
Aujourd'hui sa fait sept mois que l'on est ensemble, et pour tout te dire, je n'en peux plus, si tu es là aujourd'hui, c'est parce qu'il faut que je te le dise.
Il eut un blanc dans lequel je pouvais presque entendre les battements accélérés de mon cœur. Il se lève, plie sa serviette, la pose sur la table, met ses mains dans ses poches, s'approche de moi et me dit d'une voix à couper le souffle " Veux-tu m'épouser ?"
De sa poche il sort une alliance qu'il tenait entre son pouce et son index. Je voulais me lever mais cela m'était très difficile, mes chaussures glissaient sur les dalles.
- Dis quelque chose! me demande-t-il en me suppliant du regard.
Mais ça c'était une chose que je ne pouvais faire, chaque seconde qui passait, ma gorge se desséchait de plus en plus.
J'ai peiné mais j'ai réussi à me lever, en restant quelques instants devant lui, je sentais son souffle chaud frapper contre ma joue ; dans ma tête les points d'interrogations se bousculaient, j'avais si peur que le passage de ma triste vie se répète encore une fois.
- Je ne peux pas.
- Pourquoi ? me questionne-t-il.
- Ne me demande rien…
La déception sur son visage pouvait se lire.
- Je t'aime et j'ai cru que tu m'aimais.
- Mais si, je ...
Je n'ai pas eu le temps de répondre, qu'il s'interpose en me disant :
- Tiens cette alliance est pour toi, garde-là ; réfléchis bien car tu sais, dans la vie, il n'y a pas de retour en arrière, car derrière toi, tout sera déjà mis en poussière.
Il prit ma main et y posa la bague. Je la serrais très fort, Laurent tenait mon poing fermé entre ses mains doucement il en approchait ses lèvres et à ce moment même je me suis retournée et me mis à courir. Je ne savais pas où j'allais, mais je courais quand même. Je ne savais pas quoi faire, j'ai fui devant l'amour que m'offrait cet homme, oui, j'ai préféré fuir que d'affronter la vérité en face.
En courant, des clés sont tombées de ma poche, les clés de l'opéra, j'ai pris un taxi pour m'y rendre, et j'y suis entrée, il n'y avait pas grand monde, seulement quelques techniciens qui rôdaient par-ci, par-là.
J'avançais dans l'allée peu éclairée, qui me donna le sentiment d'être encore plus perdue.
Soudain en plein été, la pluie sur mon coeur s'est mise à tomber ; mes yeux s'embrumaient.
Et c'est sur la grande scène que je suis allée retrouver le grand piano.
J'ai tout d'abord commencé à pianoter, puis en même temps que mes larmes, mon improvisation suivait. La peine me détruisait et les notes allaient toutes droites avec se sentiment indescriptible.
La mélodie était très intense et très agressive elle avait aussi un côté mélancolique.
- Tu fais quoi ? ! Sors de là! me dit Benjamin, un technicien chargé de l'éclairage.
Et sans que j’aie le temps de quitter la scène, la lumière s'alluma et la foule m'applaudit.
Je venais d'exprimer ma peine devant une salle comble.
Deux semaines plus tard, après avoir bien réfléchi, je suis revenue pour exprimer mon choix à Laurent sauf qu'il n'était plus là, il avait quitté le pays. Sa sœur m'a dit qu'il était en Inde, son meilleur ami parlait de l'Italie et quant à son employée, elle parlait de Londres.
Personne ne savait où il était réellement.
J'ai changé d'appartement, j'ai changé de vie. La seule chose que je n'ai pas changée, c'est le piano.
Les années sont passées et les souvenirs peu a peu ont commencé à s'effacer.
Un jour, j'étais assise sur un des nombreux bancs du parc. Je lève les yeux de mon papier à musique et je vois un garçon d'environ un an courir en riant. Il portait un short en jeans avec un tee-shirt vert. Il avait aussi des petites chaussures noires ; à sa main droite, il tenait une figurine. Il avait de très beaux cheveux noirs qui suivaient chacun de ses mouvements, et quand ils venaient se mettre devant ces petits yeux bridés, il les chassait avec ses petits doigts.
Je replonge dans ma feuille. Soudain le petit garçon tombe à trois pas du banc. Je me pressai et alla le relever, son père un peu plus loin se pressait aussi.
- Papa, bafouillait l'enfant en pleurant.
Son père lui frotta les genoux.
- Merci, me dit le monsieur en fixant ma main ou plutôt la bague que Laurent m'avait offerte.
Je relève la tête : c'était Laurent.
Il me regarda droit dans les yeux et son visage se figea.
Puis il entrouvrit la bouche, mais rien, aucun son, aucun mot.
Il pris son fils et continua son chemin. Sans jeter un dernier regard, il emmena avec lui tous mes espoirs.
"Tu sais, dans la vie, il n'y a pas de retour en arrière, car derrière toi tout sera déjà mis en poussière." A cet instant, cette phrase s'est mise a résonner dans ma tête.
Je réalisais que toute cette histoire s'est passée trop vite comme si j'avais tourné les pages d'un livre trop vite.
Au loin, j'entendais l'enfant que portait Laurent crier "maman", une femme lui tendit les bras et il y trouva refuge, et quant aux lèvres de Laurent, elles ont venues se poser sur les siennes.
Je pose ma composition, sur le bord du banc, délicatement j'enlève ma bague et la mis par dessus.
Je me lève lentement et m'en vais à l'opposé de Laurent, dans un labyrinthe où mes sentiments et ma raison venaient de se perdre.
En marchant, j'ai senti quelqu'un me prendre la main ; c'était la douleur.
Je m'appelle Béatrice Merkel, je suis Allemande, j'ai quarante-huit ans et je vis à Paris dans le 2e arrondissement. Je vis là depuis un an et demi, depuis que j'ai perdu l'amour.